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7 mars 2018 3 07 /03 /mars /2018 12:00

Après Bon Baisers de Bruges et Seven Psychopaths, le cinéaste britannique Martin McDonagh revient avec le très acclamé Three Billboards Outside Ebbing, Missouri (le titre français n’existe pas), lauréat d’un prix du scénario à Venise et vice grand favori pour l’oscar du meilleur film, finalement battu par The Shape Of Water de Del Toro. Le premier était un petit ovni, annonciateur d’une patte artistique singulière, tandis que le second (pas vu) décevait en marchant visiblement sur les plates-bandes de Tarantino et autres frères Coen. Avec Three Billboards, la qualité, et surtout la personnalité, sont-elles à nouveau au rendez-vous ?

Three Billboards Outside Ebbing, Missouri

L’intrigue de Three Billboards prend racine dans une petite bourgade du Missouri, qui, bien que cet État se situe au centre du continent américain, rappelle ces villes pionnières propres au genre (néo-) western. Après sa captation quasi féérique des ruelles et canaux brugeois, McDonagh ancre son film dans une réalité beaucoup plus crue, tributaire des régions plus “sauvages” du pays à la bannière étoilée. Avec un grand sens de l’économie et une saisissante immédiateté, il pose un double cadre, à la fois diégétique et référentiel. Diégétique car ses premiers establishing shots présentent le petit commissariat du patelin, son shérif ancestral et ses fameux panneaux, qui témoignent de structures de maintien de l’ordre et de circulation de l’information quelque-peu surannées. Mais également référentiel avec l'enrobage de cette patine westernienne, qui va définir les rapports de force et conflits interpersonnels en présence.

Les personnages dépeints par MacDonagh, à commencer par la Mildred Hayes de Frances McDormand et le Jason Dixon de Sam Rockwell, sont de véritables bombes à retardement, dont la haine et la rancœur contenues menacent à tout moment de se traduire en actes de violence. Dans cette optique, c’est dans une mouvance beaucoup plus contemporaine du western que s’inscrit Three Billboards, notamment représentée par la série HBO Deadwood. L’écriture de Three Billboards (signée par McDonagh lui-même) est d’une cruauté et d’une sécheresse exceptionnelles. Les personnages jurent perpétuellement comme des charretiers et témoignent d’une approche brut de décoffrage de la communication, et donc du rapport à l’autre. Face à une institution judiciaire qu’elle considère comme dilettante, inefficace et mal organisée, Mildred défie la Loi et se moque de toute notion de respect et de bienséance, quitte à engendrer peine et souffrance dans son entourage proche ou plus éloigné. Il en va de même pour Dixon, policier raciste et xénophobe dont l’évolution est construite en miroir de celle de Mildred.

Sur le fil rouge tressé par les trajectoires parallèles de ces deux protagonistes, McDonagh entend brosser le tableau plus global d’une Amérique profondément blessée et prisonnière de schémas passéistes de résolution des conflits. Et insiste corollairement sur la nécessité de surmonter le vigilantisme pour plus de civilité, cadre plus propice à l’apaisement des esprits et au pansement des plaies. Toujours dans l’écriture de ces caractères enragés au premier degré, il a l’intelligence remarquable de ne jamais tomber dans un manichéisme primaire et consensuel et de donner matière à interrogation perpétuelle. Ceci tient également à une direction d’acteurs de premier ordre. McDormand, visage comme figé dans le marbre, mâchoire crispée de colère rentrée, arbore une stature monolithique finalement friable. Elle est impressionnante et prouve l'étendue de son répertoire en prenant le contrepied totale de la gentille benête qu’elle incarnait dans Fargo. Rockwell, quant à lui, est tour à tour détestable et attachant en grand enfant impulsif et apparemment dépourvu de jugeote.

Three Billboards Outside Ebbing, Missouri

Difficiles à aimer et à prendre en compassion, Mildred et Jason sont pourtant impossibles à catégoriser de manière définitive, McDonagh prenant bien soin de leur ménager des moments de fébrilité et de grâce dans la deuxième partie de son récit. L’approche proposée est d’autant plus rafraîchissante qu’elle évite de s’engager sur la voie du whodunit (“qui l’a fait”, autrement dit film à énigme impliquant souvent l'identification d’un tueur) pour toujours rester dans l’étude de personnages au sens strict. Le shérif interprété par Woody Harrelson est quant à lui beaucoup plus lisse et schématique. Sorte de Gary Cooper moderne bienveillant et paternaliste, cette figure archétypale s’avère strictement fonctionnelle : il ne constitue rien de plus qu’un tremplin narratif pour McDormand et Rockwell. Certes le charisme infaillible de l’acteur lui permet de briller comme de coutume, mais il apparaît difficile de s’intéresser plus avant à un type de rôle qu’il a par ailleurs endossé un nombre incalculable de fois.

D’une solidité et d’une tenue à toute épreuve dans sa première partie, la poigne de fer du cinéaste britannique tant malheureusement à s’étioler à mi-parcours. La faute à des choix de narration poussifs et forcés, qui vont éroder la crédibilité de la démonstration orchestrée. Sans spoiler le déroulement de l’intrigue, McDonagh va recourir à des deus ex machina et autres situations casse-gueules gorgés d'invraisemblance, dans le but de permettre à ses personnages de (trop) radicalement changer de position morale et psychologique. Ce genre de twists, d’une bêtise assez crasse dans leur aspect providentiel et/ou incongru, rappellera fortement The Shawshank Redemption, et une comparaison avec ce film ainsi qu’avec Bons Baisers De Bruges s’avère on ne peut plus pertinente dans cette optique. Il n’y a rien de répréhensible à soumettre des personnages à des retournements de situation insolites, mais le problème de Three Billboards est qu’il tente d’intégrer ces revirements, à fort potentiel d’humour absurde, au sein d’une approche globale qui privilégie un réalisme éminemment terre-à-terre.

Si la greffe prenait dans le film de Darabont, c’est parce que celui-ci avait délibérément conçu son film comme une fable morale, qui autorisait ce genre de ficelles. De même que si Bon Baisers de Bruges en intégrait à profusion dans sa narration (la séquence gag de la tentative de suicide de Farrell, canonique) cela se faisait le plus naturellement du monde en vertu du ton poético-tragique unique du film : il ne s’agissait de rien d’autre qu’un conte macabre, vaguement situé hors du temps avec ses fantaisistes décors moyenâgeux. Si 3 Billboards distille çà et là dans ses dialogues quelques zestes d’humour noir, d’ailleurs sensiblement “coenesques”, cette tonalité ne peut prétendre s’étendre à l’ensemble du film, qui prend le parti-pris radical de traiter de thématiques d’une grande gravité... avec gravité. Autrement dit avec une approche frontale, sans détours et sans langue de bois, qui fait du bien en contraste avec les habituels produits “oscars” manufacturés, d’une propreté bien-pensante et sentencieuse qui donne la nausée (Darkest Hour, bonjour). Ce décalage a donc pour conséquence fâcheuse de simplifier à outrance le propos pacifiste et humaniste du métrage, dont les personnages de McDormand et Rockwell sont les porte-étendards.

Three Billboards Outside Ebbing, Missouri

Ces quelques réserves empêchent Three Billboards de pouvoir prétendre au statut de chef d’œuvre. La faute à des personnages certes dessinés avec brio en premier lieu, mais dont le développement ultérieur peine à convaincre en regard des facilités énoncées (bien que la fin, magnifique et ouverte, synthétise tous les dilemmes moraux du film avec une pudeur déchirante). Enfin, et pour répondre à la question de départ de savoir si McDonagh signe ici un retour au sommet, son présent film pâtit une fois encore de sa comparaison avec Bruges, en termes de mise scène cette fois. Le travail opéré est certes net et sans bavures, mais n’excède qu’à de trop rares occasions la plate illustration. En témoigne un plan séquence assez saisissant, et justifié car synchronisé au mouvement inexorable du personnage de Rockwell, dont la source est une pulsion vengeresse irrépressible (l’on laissera au spectateur le loisir de le repérer et de l’apprécier). Hormis cette prouesse, la caméra se contente de sagement capter les scènes (superbement) dialoguées en champs/contre-champs inertiels et ne peut prétendre rivaliser avec la sophistication picturale de Bons Baisers de Bruges.

Un film à voir, donc, bien que Martin McDonagh se doit encore de donner suite au génie de sa première œuvre. Etant donné les qualités incontestables de Three Billboards, l’on ne peut que lui faire confiance.

 

Robin

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