Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 août 2019 1 19 /08 /août /2019 21:07

        C'était l'une des sensations survenues après la première annonce de la sélection du Festival de Cannes 2019, le retour de Quentin Tarantino sur la Croisette. Dix ans après son dernier passage en sélection officielle avec Inglorious Basterds, l'un des cinéastes les plus appréciés à la fois du grand public et d'une audience cinéphile plus avertie revient avec un projet très intrigant sur le papier, annoncé initialement comme étant un film traitant de la "famille" de Charles Manson et de l’assassinat de Sharon Tate. L'idée de voir Tarantino connu pour son style référencé et décalé s'attaquer à un sujet aussi sérieux avait de quoi interroger dans un premier temps, qui plus est après un The Hateful Eight aux allures de film-somme. Était-ce là l'occasion pour Quentin Tarantino de s'essayer à un exercice nouveau après avoir mûri son style si particulier? 

L'homme de la scène et l'homme de l'ombre, indissociables

L'homme de la scène et l'homme de l'ombre, indissociables

       Beaucoup de critiques s'accordent sur ce point depuis sa présentation à Cannes, Once upon a time in... Hollywood est certainement le film le plus personnel de son auteur. Tarantino retourne notamment à un cadre familier, celui de ses premiers films : Los Angeles. Et cette fois-ci ce n'est pas une histoire de malfrats qui nous sera proposée mais bien une fresque avec pour décor l'industrie hollywoodienne de la fin des années 60, un contexte intéressant à plus d'un titre. Cinématographiquement d'abord puisque 1969 c'est l'envol du Nouvel Hollywood, c'est l'essor de plus en plus grand de la télévision, c'est un cinéma européen (notamment italien) qui s'est installé et a profité de l'agonie de la machine hollywoodienne durant la décennie écoulée. Et d'un point de vue sociétal c'est un conflit vietnamien qui s'enlise, c'est une jeunesse aux aspirations bien différentes de celles de leurs aînés et c'est une communauté hippie discrète qui s'installe dans un ancien ranch de cinéma avec de bien funestes desseins en tête. Et une destinée traverse ce décor comme une ombre, celle de Sharon Tate, épouse alors d'un cinéaste montant de l'époque : Roman Polanski.

 

       Petite précision tout d'abord : connaître la fin tragique de l'actrice et les agissements de la "Famille" de Manson est un prérequis essentiel pour l'appréciation du film qui va, tout au long de sa durée, naviguer dans des eaux troubles entre réalité et fiction. Si Tarantino a déjà questionné le réel avec une réécriture de l'Histoire dans Inglorious Basterds ou à moindre mesure dans Django Unchained, force est de constater que la liberté avec laquelle le réalisateur interroge le réel ici prend une toute autre dimension. La fresque qui a fait l'objet d'une reconstitution soignée prend alors par instants des allures de fable, teintée de nostalgie mais aussi de mélancolie. Le nouveau Tarantino ne ressemble ainsi à aucune autre de ses oeuvres précédentes et montre à quel point il peut surprendre en conservant malgré tout son style unique et ses fameux gimmicks reconnaissables entre mille (fétichisme des pieds assumé, références explicites, longs dialogues, etc.). 

 

       Le sentiment de mélancolie qui traverse le long-métrage sera principalement véhiculé à travers deux personnages principaux : Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) dans le rôle d'un acteur sur le déclin et Cliff Booth (Brad Pitt) son cascadeur attitré et habitué à vivre dans l'ombre de la star. Ces deux personnages (purement fictifs) voient la transformation d'une industrie qu'ils ne reconnaissent plus et où les stars du passé auront le choix entre se réinventer ou tout simplement disparaître. La rencontre entre Rick et le producteur Marvin Schwarz (Al Pacino) donnera la ton d'entrée de jeu : dans le cinéma des années 60, mieux vaut se refaire la cerise en Italie plutôt que de camper un bad-guy aux USA. Ce sera la genèse des doutes qui animeront l'acteur qui se verra confronté à une concurrence plus rude et à des méthodes de jeu qui évoluent. Place à l'improvisation et à l'implication dans l'interprétation d'un personnage, matérialisées par la jeune Trudi Fraser (Jullia Butters) avec qui s'opérera comme une transmission de flambeau qui symbolisera la transition entre deux ères cinématographiques de l'industrie hollywoodienne.

 

       Tarantino use comme à son habitude d'un sens du dialogue aiguisé avec cette qualité d'écriture qui le caractérise mais cette fois-ci de manière plus introspective, au service des états d'âme de ses protagonistes. En ce sens le personnage de Rick Dalton apparaît comme étant particulièrement dramatique, avec des faiblesses et des doutes exprimés de façon explicite et touchante. Jamais un personnage de Tarantino n'aura paru aussi sincère et aussi fragile, contrastant fortement avec de précédents personnages de l'univers du cinéaste qui ne s’embarrassaient guère des sentiments. Once upon a time in... Hollywood apparaît ainsi comme étant différent de ses aînés, à mi-chemin entre continuité stylistique et renouvellement thématique.

 

       Plus terre-à-terre, bien moins porté sur l'hémoglobine et le second degré, le film fait également preuve d'une liberté narrative qui épure le scénario au profit d'une atmosphère dépeinte avec soin et d'une ambiance qui envoûtera ceux qui sauront se laisser porter par l'aspect aigre-doux du métrage. Le film donne ainsi cette sensation de fonctionner tout seul sans être obligé de développer outre mesure un arc narratif principal avec de multiples périples et rebondissements. Les éventuelles surprises proviennent de cette balade dans un univers semi-réel/semi-fantasmé très vivant, animé au rythme des rencontres faites par les différents protagonistes qui révéleront tour à tour différentes facettes de leurs personnalités. Et tout ça sans oublier une chose, le thème qui tient le plus à coeur à Quentin Tarantino dans ce film, parler de cinéma.

       

Voilà un peu ce qui arrive quand les rôles se raréfient

Voilà un peu ce qui arrive quand les rôles se raréfient

       Véritable déclaration d'amour portée au cinéma (et à tous les cinémas), Once upon a time in... Hollywood est un pur film de cinéphile. Très référencé, auto-référencé même (les connaisseurs ne manqueront pas de sourire à l'idée de voir Kurt Russell en chef des cascadeurs), le film ne manque pas non plus de mettre en valeur les femmes et hommes de l'ombre, les petites mains, les techniciens sans qui l'usine à rêves ne tournerait pas. Cet hommage subtil se ressent surtout dans la relation atypique entre Rick et Cliff, ce dernier étant tour-à-tour homme à tout faire, cascadeur attitré et meilleur ami de la star déclinante. Le personnage au passé (très) trouble est à la fois le parfait alter ego mais aussi la pièce essentielle pour maintenir l'équilibre de Rick Dalton, l'un ne pouvant pas faire sans l'autre, l'homme sous les projecteurs ne pouvant pas faire sans celui qui reste dans l'ombre et inversement.

 

       Sans rentrer dans un niveau de détail qui ôterait le plaisir de découvrir l'intrigue imaginée (avec brio) par Quentin Tarantino, le film développe également toute une réflexion autour du cinéma. Il y a dans ce film un côté réconfortant, comme une bulle déconnectée du réel, qui vient apaiser le spectateur qui monte peu à peu en tension à l'approche d'un événement que les plus renseignés savent particulièrement tragique et inéluctable. La violence, habituellement excessive et décomplexée chez le réalisateur, ne sera que très épisodique et utilisée de façon décalée. Elle sera ainsi presque récréative, comme une violence de série B qui viendrait palier à la violence du monde réel, la vraie violence, celle qui tape bien plus fort qu'une simple oeuvre de fiction. La fin a d'ailleurs de quoi interroger sur le côté moral de l'histoire mais rien n'est gratuit derrière tout ça, il y a un sous-texte particulièrement garni et développé pendant plus de 2 heures qui justifie cette approche adoptée par Tarantino sur un sujet aussi sensible et dramatique. Après que ça plaise ou pas, chacun est juge, mais on ne peut définitivement pas nier toute la réflexion qu'il y a derrière tout ça et l'intelligence de la démarche, surtout sur la base d'un fait-divers aussi glaçant.

 

       Cette frontière floue entre réalité, fantasme et fiction constitue le moteur d'un film qui, comme évoqué précédemment, semble avancer tout seul, nous offrant un voyage de 2h40 dans une époque révolue. Une séquence marque particulièrement concernant le fantôme de Sharon Tate qui parcoure cet univers, celle où Margot Robbie qui campe l'actrice se retrouve dans un cinéma projetant un film mettant en scène la réelle Sharon Tate : Matt Helm règle son comte. Les spectateurs que nous sommes assistent alors à ce curieux spectacle qui ne manque pas de nous interroger sur le rapport au réel et à la fiction. Margot Robbie campe un personnage, une illusion qui ne pourra jamais redonner réellement vie à l'actrice mais qui néanmoins va perpétuer son existence à travers nos écrans de cinéma. Elle réapparaît ainsi le temps d'un film au travers d'une actrice qui représente alors un personnage qui s'amuse, profite, rit, vit, le tout dans une pure et belle insouciance. Est-ce là une belle façon de représenter au cinéma une personne qui a réellement existé et qui est malheureusement associée systématiquement à sa mort? Au sens de l'auteur de ces lignes, oui, vraiment.

Une image qui suffit à décrire la qualité du casting, pas besoin d'épiloguer !

Une image qui suffit à décrire la qualité du casting, pas besoin d'épiloguer !

        Le nouveau Tarantino avec ses allures de fable cinéphile se déguste comme un plaisir sans faim pour peu que l'on se laisse embarquer dans cet univers et que l'on fasse attention au sous-texte subtilement dissimulé. Le film prend son temps et parvient à offrir plusieurs moments d'anthologie même si le dernier quart d'heure sera certainement le plus marquant du fait notamment de sa brutale rupture de ton. Outre cette (magnifique) scène de Sharon Tate au cinéma, difficile de passer à côté de la séquence très tendue dans le ranch Spahn qui ne manque pas de procurer certaines sueurs froides, montrant toute l'intensité du côté terre-à-terre que Tarantino a développé jusque là. Jamais un de ses films n'a semblé aussi réaliste qu'à cet instant, d'où la tension qui opère avec maestria. Il est d'ailleurs amusant de constater que les séquences les plus "tarantinesques" dans l'esprit seront des séquences de fiction dans la fiction, révélant une épatante cohabitation des styles et des genres. C'est tout un monde de cinéma qui vit dans ce film, entre sérieux, dérision et mélancolie.

 

       On pourra toujours épiloguer 3000 ans sur les autres qualités du film avec un casting de haute volée, mêlant grandes figures et/ou acteurs récurrents de la filmographie du cinéaste. Brad Pitt et Leonardo DiCaprio en tête, qui excellent du début à la fin, ce dernier étant particulièrement touchant. On pourra bien sûr épiloguer sur les qualités formelles avec une mise en scène au cordeau et une photographie éclatante, signée par l'habituel Robert Richardson qui sublime Los Angeles comme personne. On pourra toujours contrer les polémiques futiles sur le racisme de Tarantino, sur le nombre de répliques de Margot Robbie et le supposé sexisme du film mais on se contentera de rappeler l'existence de Django Unchained pour le premier reproche et de Death Proof, Kill Bill et Jackie Brown pour les suivants.

 

       Mais à l'humble avis du rédacteur de ces lignes, ce n'est pas là le plus important. Le plus important réside dans tout ce que Once upon a time in... Hollywood a à raconter sur le cinéma, son évolution et sur l'époque représentée dans ce film. Et si certains films du réalisateur pouvaient donner l'impression d'un plaisir immédiat et ludique, celui-ci a une saveur particulière qui décante encore dans l'esprit après le visionnage. Parce que c'est un film qui s'empare de manière étonnante d'un sujet délicat traité en filigrane, parce que c'est un film d'une richesse insoupçonnée dès que l'on gratte un peu à la surface, parce que c'est un film qui ose interroger et bousculer quelque part, ce Tarantino est définitivement à classer dans le haut du panier de sa filmographie. Que c'était bon !

 

Romain

Partager cet article
Repost0
28 mai 2019 2 28 /05 /mai /2019 20:56

Il est souvent difficile de voir les films qui nous intéressent au moment de leur sortie. Entre manque de temps, programmation à des horaires peu évidents et flemmingite aiguë, les obstacles qui se dressent face à la cinéphilie sont nombreux. Qu'à cela ne tienne, ça nous permet de remplir la rubrique En vrac de ce blog et de parler de ces films dont il faut absolument profiter des dernières séances. Au menu : la genèse des cartels colombiens et du trafic de la marie-jeanne, un thriller politique espagnol haletant et un voyage dans l'adolescence américaine des années 90. Il y en a pour tous les goûts !

 

3 bons films du printemps 2019

        Les Oiseaux de passage, de Ciro Guerra & Cristina Gallego

Plus de trois ans après nous avoir proposé un fascinant périple au cœur de la forêt amazonienne dans L’étreinte du serpent, Ciro Guerra revient avec un nouveau film centré sur la genèse des cartels de la drogue. Accompagné cette fois-ci de son épouse et habituelle productrice Cristina Gallego à la réalisation, le cinéaste colombien s’essaie ici pour la première fois au film de genre. Si les films traitants de trafics et autres échanges de substances illicites ne sont pas les plus rares dans le paysage cinématographique, le fait de voir une action située au sein de la tribu autochtone amérindienne Wayuu était intriguant. Tiré de faits réels, le film parvient à combiner habilement les codes du genre et un style personnel bien affirmé qui transcende une base qui aurait pu facilement aligner les poncifs sans inspiration. Si tout n’est pas forcément parfait, le petit duo colombien nous offre un instant de cinéma prenant et assez intense à l'arrivée.

Ce qui marque notamment d’entrée de jeu c’est cette capacité des réalisateurs à créer une ambiance marquante grâce à une utilisation remarquable du cadrage et du son. La séquence de danse du début révèle à la fois le côté virtuose de la mise en scène et l’intensité qu’elle parvient à dégager, notamment dans cette tension qui s’installe entre la jeune femme Zaida qui s’apprête à entrer dans sa vie de femme et ce jeune homme Rapayet prêt à tout pour la séduire. Et c’est cette quête du mariage qui nécessite une dot importante dans cette culture ancestrale qui sera le début de la recherche d’argent facile et le commencement de la perdition. Telle une tragédie ancienne annoncée par les chants prophétiques d’un berger Wayuu, le film sera chapitré et chaque segment annoncera la couleur d’un programme sombre, froid et implacable.

Le film s’étale sur une décennie durant laquelle on passe de l’ivresse à la gueule de bois au sein de cette famille qui se déchire progressivement face à la croissance incontrôlée des intérêts de chacun. Le récit n’évite pas une certaine forme de linéarité qu’il compense néanmoins par le génie de sa mise en scène et un scénario qui propose quelques pics d’intensité assez puissants. Le rythme lancinant du film est notamment un atout pour ressentir plus puissamment encore les accès de violence qui frappent sans prévenir. On pouvait néanmoins espérer davantage de l’écriture des personnages (notamment concernant le personnage du fils de la matriarche assez unilatéral) mais ils sont suffisamment caractérisés dans l’ensemble pour que l’on prenne plaisir à suivre leurs évolutions. 

Nous assistons donc ici à une belle proposition de cinéma, sèche et aride à l’image de ces déserts peuplés par une partie du peuple Wayuu. Oppressante aussi comme cette forêt luxuriante qui abrite une autre partie du même peuple. Un décor qui marque la séparation nette entre ces deux clans, ces deux familles qui ne peuvent plus collaborer ni cohabiter autour des mêmes intérêts et qui inexorablement se déchirent. L'importance des décors est également illustrée par cette maison majestueuse, dressée au milieu de rien, qui symbolise la folie des grandeurs qui a gagné cette région reculée. Les oiseaux de passage ce sont ces hommes qui voguent, s’installent, font des affaires, s'entretuent puis repartent. Un récit sombre, violent et radical avec une mise en scène en béton armé et une éclatante photographie.

 

3 bons films du printemps 2019

       El Reino, de Rodrigo Sorogoyen     

Dans ce contexte d’élections, rien de tel qu’un petit thriller politique survitaminé pour se mettre en appétit ou digérer (c'est au choix). El Reino est le nouveau film du jeune cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen qui a notamment obtenu un beau succès d’estime avec son précédent film Que Dios nos perdone. Nous suivons ici la chute d’un politicien pris au piège dans les rouages d’un système qui a fait sa réussite mais qui, cette fois-ci, se retourne contre lui. Un film qui ne risque pas de faire les affaires des chiffres de l’abstention tant il réussit brillamment à remettre en cause des sujets qui dépassent le simple monde politique de façon habile et corrosive.

On peut résumer simplement El Reino à une perpétuelle course contre-la-montre qui montre crescendo en tension et nous tient en haleine pendant deux petites heures qui passent à une vitesse folle. Pourtant ce n’est pas si facile de rentrer dans le film qui déroule un scénario assez complexe sur un rythme intense qui laisse finalement peu de répit au spectateur. L’introduction se fait sur un plan-séquence dynamique et aboutit ensuite sur un déjeuner où les plans se multiplient par le biais d’un montage particulièrement raide qui nous rappelle celui d’un autre film politique : In the Loop d’Armando Iannucci. Mais si ce dernier s'apparente à une comédie, ce n'est pas le cas d'El Reino qui arbore des teintes plus noires et cyniques.

Cette réalisation et ce montage ultra dynamiques peuvent surprendre dans un premier temps mais on se rend vite compte de l’épatante maîtrise de l’ensemble. La forme s’accorde très bien au fond qui, s’il ne va pas nécessairement au cœur de ce système particulièrement pourri, présente néanmoins de solides attraits. Les protagonistes, dont notamment le principal brillamment interprété par Antonio de la Torre, font l’objet d’une écriture remarquable qui laisse place nette à la nuance et à l'ambiguïté.  On ne sombre ni dans la caricature de personnages pourris jusqu’à l’os ni dans la caricature de modèles de vertu repentis. Au contraire, le personnage de Manuel cherche à s’extirper de cette situation embarrassante uniquement pour sauver sa peau, même si ses amis fidèles ou non doivent trinquer à sa place. C’est ce qui donne beaucoup d’intérêt au film : dépeindre un système et surtout dépeindre ses acteurs et leurs enjeux propres de façon à comprendre ce monde clairement, sans tomber dans un enfoncement de portes ouvertes simpliste. 

Et ce film n’est pas avare en rebondissements et en séquences marquantes. Outre le plan-séquence introductif, Sorogoyen nous en propose d’autres à des moments-clés qui renforcent l’intensité et cette impression de course contre-la-montre à vitesse réelle. La dernière demi-heure est par ailleurs un modèle de tension avec des moments où l’on se retient de respirer, preuve ainsi que l'empathie envers un personnage que l'on détesterait en temps normal est bien présente. Le passage en voiture dans la nuit me marquera un petit moment je pense.

Que dire de cette dernière scène qui, une fois de plus dans le récit, nous interroge à la fois sur l’honnêteté du monde politico-médiatique mais aussi sur la nécessité de maintenir un certain équilibre. Difficile à mon sens de rester de marbre face à ce film qui en a dans le ventre et développe une intrigue intéressante sur bien des aspects, avec une solide écriture d'ensemble. J’ignore si le film est inspiré de faits réels mais je suis certain d’une chose: certains politiciens espagnols ont du avoir des sueurs froides en visionnant ce film !

 

3 bons films du printemps 2019

        90's, de Jonah Hill        

Acteur trublion à la carrière remplie de rôles comiques avec une orientation vers des rôles plus dramatiques depuis quelques années, Jonah Hill nous propose ici sa première expérience de réalisateur. Un projet qui nous ramène, comme son titre l’indique, au beau milieu des années 90, dans un milieu de jeunes skateurs. Difficile de savoir à quoi s’attendre de ce Mid90s (titre original) quand on ne connaît que le comédien et non le potentiel cinéaste, d'autant plus que le sujet était un terrain propice à la prolifération de nombreux clichés. Et pourtant dans ce cas présent, pas de crainte à avoir ! Jonah Hill est en effet parvenu à nous livrer un portrait de jeunesse intéressant et avec son lot de qualités.

Ce film ressemble à ce que donnerait un mélange entre un Gus Van Sant, un Linklater et un Larry Clark. On retrouve les thématiques intimes centrées sur l’adolescence du premier, la tendresse et la bienveillance envers ses personnages du deuxième et le côté cru et direct du dernier. Un mélange détonant qui fonctionne très bien même si ce serait très réducteur de rester sur cette comparaison tant le film parvient à développer sa propre identité, à mi-chemin entre naturalisme et nostalgie d'une époque révolue (mais pas tant que ça). J’ignore à quel degré Mid90s est autobiographique mais on sent que ce projet est très personnel avec une volonté de présenter des morceaux de vie aux thèmes universels.

Le film nous propose ainsi des instants épars qui transpirent le vrai sans pour autant être en permanence dans une optique ultra réaliste, avec notamment une part de scènes qui semblent tenir du fantasme. On s’attache vite au jeune Stevie, préado pas forcément malheureux mais qui cherche à exister davantage entre sa mère aimante mais absente, son frère violent et cette bande de skateurs qu’il rencontre au cours de l’été. Suivre la vie de cette petite troupe est un plaisir, on apprend à découvrir tous ces jeunes avec leurs qualités et leurs faiblesses. Des caractères bien distincts, des vies et trajectoires différentes mais une passion qui les lie : le skate. 

L'écriture est très convaincante en règle générale tant elle évite soigneusement de tomber dans le piège des personnages clichés, que ce soit dans la famille ou le cercle d'amis. Chacun est caractérisé et n'est pas cloisonné dans une seule fonction. Pour reprendre l'exemple du milieu familial, il était simple de cantonner la mère célibataire à un rôle de femme désespérée ou le frère à un rôle de bourrin sans cervelle. Mais heureusement il n'en est rien tant le film prend le temps de développer leurs caractères et d'en faire autre chose que des marionnettes prévisibles. Il y a notamment cette part de tendresse dans ces relations exposées à l'écran qui fonctionne particulièrement bien et qui peuvent nous toucher, à tout moment. A ce titre je trouve que les cinq dernières minutes du film sont vraiment très belles, et le tout sans que le réalisateur ne rajoute trois couches de guimauves. 

Sans pour autant constituer un tour de force, le film de Jonah Hill n'en demeure pas moins réussi, sincère et juste dans son approche introspective des tracas de l'adolescence, de la découverte d'autres facettes de la vie... Le scénario est suffisamment épuré pour permettre à tous ces personnages de vivre, pour permettre aux spectateurs de s'y attacher, de les comprendre. Et rien que pour ça, ce petit séjour dans cet été des années 90 valait le détour.

       

Romain

Partager cet article
Repost0
19 mai 2019 7 19 /05 /mai /2019 09:30

       Fait inhabituel sur la Croisette, c’est un film de zombies qui a assuré l’ouverture du festival de Cannes ! Fait moins inhabituel, il s’agit du dernier film de l’américain Jim Jarmusch, qui a décroché le grand prix du jury du même festival en 2005 pour le savoureux Broken Flowers. Le fait de voir l’un des meilleurs réalisateurs contemporains s’emparer du film de zombies était un projet pour le moins alléchant, bien que le genre soit fortement représenté au cinéma (et pas que) depuis quelques années. Il y avait toutefois de quoi être confiant vu la manière avec laquelle le cinéaste a su brillamment revisiter certains genres dont notamment le western avec le sublime Dead Man. Un réalisateur au style unique et inventif aux manettes, un casting XXL avec plusieurs de ses acteurs fétiches, une sélection à Cannes : tous les ingrédients étaient réunis pour un film de qualité. Il ne manquait plus finalement qu’à trouver la bonne recette pour éviter l’indigestion à laquelle nous avons malheureusement (presque) le droit…

The Dead Don't Die

       Pour résumer le film simplement, on pourrait dire que l’on assiste pendant quasiment une heure à un condensé du style Jarmusch pur avant de s’enliser petit à petit dans un propos balourd teinté d'une bonne dose de déjà vu. The Dead Don't Die a la particularité finalement d’être un film de zombies qui est bien meilleur… quand il ne parle pas de zombies. La première moitié du film fait la part belle à la présentation des personnages et de l’univers du film, un petit coin paumé de l’Amérique rurale. Et on y retrouve là le Jarmusch qu'on aime avec cette ambiance musicale, ses protagonistes décalés, sa mise en scène aux petits oignons et son humour pince-sans-rire qui fait mouche à plusieurs reprises. Il est agréable de se laisser porter par ce rythme lancinant dans cette petite ville qui nous rappellerait presque Twin Peaks avec sa galerie de personnages pittoresques et suffisamment caractérisés pour prendre un grand plaisir à les suivre. Tout cela fonctionne bien durant la première bonne moitié du film avec le lancement de plusieurs histoires parallèles dans un contexte où le monde semble proche de basculer dans le chaos. Et après, hélas, tout s'empire.

       Le défaut majeur de ce film réside en réalité dans son absence totale de subtilité. Jarmusch semble vouloir revenir à une forme du film de zombies qui arborait une dimension politique et contestataire, comme a pu le faire par le passé George Romero dont l'ombre plane sur toute la durée de The Dead Don't Die. Que ce soit dans la critique des médias et de la société américaine déjà subtilement présente dans La nuit des morts-vivants ou dans cette charge virulente contre la société de consommation dans Zombie (Dawn of the Dead), on y retrouve là tout le propos développé par Romero il y a quelques décennies. Jarmusch va finalement se servir de cette base pour l'actualiser dans le contexte de l'Amérique de Trump et y ajouter la thématique du péril écologique accentué par la course effrénée aux profits. Si cela ne me gêne absolument pas sur le papier, le fait est que le traitement de ces thématiques laisse songeur tant le cinéaste ne fait preuve d'aucune finesse à bien des égards.

        Il n'y a pas tant de différences entre les morts-vivants errant dans les allées du centre commercial de Dawn of the Dead et ces zombies qui miment leurs anciennes habitudes dans le Jarmusch. Les morts ressuscités ne sont que le reflet de leurs actions antérieures, caractérisées par leur superficialité et le vide existentiel. Mais quand Romero se contente de laisser la scène parler pour affirmer son propos, Jarmusch l'appuie encore davantage en explicitant tout bien lourdement de manière à ce que le spectateur comprenne de quoi il en retourne. Très surprenant et décevant venant de la part d'un cinéaste qui a toujours fait preuve jusque là de subtilité et de poésie dans son cinéma. On ne se le cachera pas, voir l'ancienne alcoolique zombie réclamer un verre de vin est tordant. Mais le tout marche pendant un temps jusqu'au point où les ressorts deviennent usés et redondants.

 

        Cette lourdeur caractéristique peut néanmoins s'expliquer par la dimension meta du long-métrage. Les indices étaient déjà disséminés sporadiquement dès le début du film et dès le deuxième tiers on sent que cet aspect devient prépondérant dans le récit. "The world is perfect... Pay attention to the details" comme le dit RZA qui interprète le rôle du livreur d'un camion WU-PS, fusion du Wu-Tang Clan et d'UPS. Un détail qui prête à sourire quand on le capte du premier coup d'oeil mais qui devient balourd dès que la caméra et les dialogues insistent dessus. Ce sera malheureusement à l'image de tout le reste, on insiste bien fortement sur les détails à un tel point qu'il n'y a pas forcément de plaisir à tous les trouver tant les références sont directes et explicites. 

The Dead Don't Die

       La farce dans laquelle glisse petit à petit le film peut être interprétée comme étant la conséquence de cette dimension meta qui entoure le film. J'ai l'impression que l'ami Jim a un contentieux avec le cinéma actuel, sa vacuité, son non-sens et sa qualité d'écriture. Cela pourrait expliquer notamment ce coup "non prévu dans le script" ou encore l'histoire avec les enfants qui ne trouve étrangement pas de conclusion. Serait-ce là une analogie visant la qualité des fictions actuelles, ce qui expliquerait le discours ultra explicatif du personnage de l'ermite campé par Tom Waits sur la fin? Mystère. Les intentions de Jarmusch ne sont pas claires et quand même bien ce serait le cas, le fait est que cette conclusion de film est balourde et dessert un propos déjà vu.

 

        Sans qualifier le film de navet, l'ensemble est tout de même très décevant et assez moyen. La première moitié du film présente son lot de qualités et les personnages sont assez remarquables grâce notamment à leur écriture et, bien sûr, à leurs interprètes. C'est un plaisir de voir évoluer cette joyeuse troupe qui propose des instants vraiment drôles entre Tilda Swinton qui marche comme un robot et campe un personnage hautement perché, Bill Murray et son impassibilité face au chaos ou encore Adam Driver dont la seule scène de conduite est hilarante au possible. Ce dernier prouve d'ailleurs une fois encore qu'il a typiquement la carrure pour être un acteur "jarmuschien" avec son physique atypique ainsi que sa voix chaude et grave. Son rôle n'a pas la même envergure que dans le précédent film du cinéaste, Paterson (qui était pour le coup une belle réussite et une œuvre majeure de son auteur) mais il est tout de même réellement plaisant et attachant ici. 

 

         Un sentiment contrasté donc sur un film qui présentait de belles promesses et une vision nouvelle d'un genre qui a connu une déferlante dans la culture populaire ces dernières années. La forte dose d'absurde et d'étrange est malheureusement peu inspirée, fonctionnant sur quelques scènes et laissant circonspect sur d'autres. Le capital sympathie véhiculé par les comédiens, l'écriture et la mise en scène dans cette bourgade paumée est néanmoins bien présent. Dommage que l'ensemble soit autant submergé par la lourdeur, à l'image de cette ville submergée par les zombies.

 

Romain

Partager cet article
Repost0
2 avril 2019 2 02 /04 /avril /2019 20:25

       Projet français particulièrement ambitieux de par son sujet et son budget (confortable enveloppe de 20 M€), Le Chant du loup avait de quoi susciter la curiosité. En effet un film cocorico qui se déroule majoritairement au coeur d'un sous-marin dans un contexte de guerre froide moderne, ça de quoi intriguer et intéresser. Antonin Baudry, connu pour son scénario de Quai d’Orsay porté à l’écran par Bertrand Tavernier, nous propose ainsi sa première réalisation sur un sujet très prometteur sur le papier. Promesses tenues?

Le chant du loup

        La première demi-heure du film devrait mettre tout le monde d’accord. Le Chant du loup s’ouvre en effet sur une séquence particulièrement immersive qui offre son lot de sensations fortes. Chanteraide (François Civil), oreille d’or dans un sous-marin nucléaire français en mission près des côtes syriennes, va commettre une erreur d’appréciation qui mettra tout l’équipage en danger. Il y a vraiment de tout pendant ce long passage d’introduction : du suspense, de la tension et un découpage clair qui fait que l’on ne perd jamais de vue les enjeux de la scène malgré les multiples termes techniques employés. Baudry s’est visiblement beaucoup documenté sur le monde naval militaire et on ressent à tous les instants cette approche réaliste, ce qui est une bonne chose pour rester pleinement en immersion dans le récit. Et c’est suffisamment compréhensible pour que l’on ne se paume pas devant ce qui nous est présenté à l’écran, le sens est là.

        Cette séquence réussie pose aussi d’entrée tous les enjeux qui vont animer le film. Nous sommes dans un contexte contemporain où les relations internationales sont tendues. Le Monde est une poudrière sur le point de basculer vers un nouveau conflit, potentiellement plus destructeur que jamais. Sacrée base de départ pour un scénario qui s’annonce palpitant et ambitieux. Mais c’est malheureusement sur le scénario que le bât blesse finalement du fait de nombreuses maladresses trop visibles pour être ignorées.

 

       Et pourtant ce mélange de Docteur Folamour, Point Limite et A la poursuite d’Octobre Rouge à la sauce française partait sur de si belles bases… Ce n’est pas tant les grandes lignes de l’histoire qui posent problème mais plutôt les ficelles scénaristiques et intrigues secondaires qui font perdre de la force au récit. Baudry va notamment s’embarrasser d’une amourette dispensable qui n’aura pour conséquence que de casser le rythme. L’histoire avance suite à un élément qui en découle mais ça reste trop anodin et long pour ce que ça a à raconter. C'est trop convenu, cousu de fil blanc... 

       Et l’accumulation d’autres situations tirées par les cheveux avec des personnages toujours au bon endroit au bon moment et des juste-à-temps évitables est également à déplorer, notamment sur la fin. C’est un film de contrastes qui joue au yoyo en passant subitement d’une scène brillante à une scène nulle, ce qui est assez déstabilisant. Mais pour sa défense il y a quand même plus de scènes réussies que ratées (et heureusement !).

Le chant du loup

        Malgré le petit cou de mou narratif entre deux missions, le film n’en perd pas moins son fil conducteur qui permet une montée en tension progressive et efficace du récit. Hormis Chanteraide, 3 autres personnages principaux auront le droit à un développement consistant qui permet de les cerner, de s’y attacher et d’éprouver ainsi une immense empathie. Assez bien écrits et bien interprétés dans l’ensemble même si Matthieu Kassovitz surjoue un peu, ce qui ne détone pas néanmoins avec son personnage d’amiral fort en gueule. On retiendra un Omar Sy crédible en capitaine bienveillant mais c’est surtout Reda Kateb qui crève l’écran et campe un rôle dramatique avec la sobriété naturelle qu'on lui connaît. 

       Et le fait de croire en ces personnages contribue fortement à toute cette tension que l'on peut ressentir en tant que spectateur face à ces plongées sous haute pression. Baudry nous propose en plus un sens du cadrage et du montage vraiment efficace. Je refais un aparté sur la séquence d'introduction qui fonctionne particulièrement bien avec cette alternance de gros plans sur des visages tendus, sur l'absence de musique et avec pour seuls sons ces bruits mystérieux que l'oreille d'or doit analyser en temps réel. On ne sait pas de quoi il s'agit, lui-même ne le sait pas. La séquence est angoissante et joue habilement sur le hors-champ. Il y a un réel talent de réalisation derrière ce film c'est certain et c'est vraiment dommage que le film comporte autant de défauts évitables. Avec une meilleure écriture d'ensemble, nous étions pas loin d'obtenir une petite pépite.

 

       Le Chant du Loup ne sera donc pas le Citizen Kane d'Antonin Baudry. Il n'en demeure pas moins un film sympathique avec des idées de cinéma intéressantes et une histoire prenante. L'impact des quelques défauts du scénario seront ressentis de façon variable en fonction des spectateurs et selon l'importance qu'on décide de leur accorder. Pour ma part difficile de passer à côté des ficelles énormes qui font avancer le récit de manière trop artificielle. C'est trop gros pour être ignoré. Et c'est dommage que la narration ne soit pas plus épurée au profit d'une présentation plus détaillée de la vie d'un équipage, à la manière de Das Boot (qui est un peu la référence absolue du film de sous-marin).

       Ceci dit, j'en garderai un souvenir positif grâce à cette réalisation efficace et ces personnages que l'on a plaisir à suivre dans un tel contexte. Les enjeux et dilemmes moraux qui ressortent du dernier tiers du film sont de plus suffisamment puissants pour marquer, interpeller et interroger. C'est aussi cela qui fait l'efficacité du film, tourner cette histoire dans un monde contemporain proche de basculer dans le chaos avec des hypothèses tout à fait crédibles. Et on ne va pas se mentir, quand on sait que ce film a coûté moins cher que les derniers films de Dany Boon, on a quand même bien envie de lui donner des sous pour encourager d'autres productions du même calibre au lieu de navets hyper chers tournés en appartement. 

       

Romain

Partager cet article
Repost0
26 mars 2019 2 26 /03 /mars /2019 18:12

     L’époque de la Renaissance s’est souvent prêtée à merveille aux histoires mêlant conspirations, trahisons, drames passionnels et instants de débauche au cinéma. Un constat que l'on peut appliquer une fois encore dans La Favorite, nouvelle production anglophone du cinéaste grec Yorgos Lanthimos. Réalisateur qui nous a précédemment habitués à l’abstrait et à l’absurde, le virtuose hellénique a également fait preuve d'une certaine créativité formelle appréciable à bien des égards. Ce projet de renouvellement du film d'époque était prometteur sur le papier donc, bien que les différents extraits parus jusqu'à sa sortie nous préparaient à un film plus sage qu’à l’accoutumée. Qu’en est-il finalement ? Roulements de tambour et verdict un petit peu plus bas.

La Favorite

        Nous voici plongés dans l’Angleterre du début du XVIIIème siècle. La reine Anne, à la santé physique et mentale fragile, peine à régner sur un royaume alors en guerre contre son ennemi héréditaire d’Outre-Manche. Son amie Lady de Marlborough gère plus ou moins les affaires du pays quand débarque Abigail, cousine de cette dernière, aux racines nobles mais à la condition sociale précaire. Nouvelle menace pour la favorite de la reine ? Tel est le sel de l’intrigue qui sera déroulée pendant deux heures sur un sujet librement inspiré des faits réels qui ont animé la Cour de l’époque.

        L'introduction du film donne le ton avec des enjeux limpides et un développement assez long qui fera la part belle à la mise en place des personnages. On assiste dès lors à un véritable jeu de manipulations entre ces trois femmes aux liens ambigus dans une Cour totalement déconnectée de la réalité de la population et où la débauche règne en maître. Lanthimos a le don de rendre ses personnages principaux intrigants tant leurs intentions se dessinent petit à petit en fonction des opportunités et obstacles qui se présentent face à eux. Chacune dispose de suffisamment de personnalité, ce qui fait que l’on peut prendre un malin plaisir à les voir évoluer dans ce milieu impitoyable. C’est ce qui fait la force et l’intérêt majeur de ce film, le fait de voir des personnages tentant par tous les moyens de parvenir à leurs fins et ne reculant devant rien. Le tout dans une atmosphère teintée de noirceur humaine, d'érotisme dérangeant et de magouilles politiques.

 

       Le personnage d’Abigail (incarnée par Emma Stone) n’est pas sans rappeler l’arriviste Eve dans le film éponyme de Joseph Mankiewicz. De la même manière que le thème et l’époque nous font penser au chef d’œuvre Barry Lyndon de Stanley Kubrick. La Favorite emprunte d’ailleurs l’esthétique de ce dernier mais dispose néanmoins de son identité formelle propre qui est plaisante sur certains moments et plus agaçante sur d’autres. Il est dommage que la sobriété générale du film soit régulièrement brisée par les expérimentations visuelles appuyées de Lanthimos. Les plans de grands angles assez récurrents ont souvent tendance à nous rappeler qu’il y a une caméra derrière tout ça, ce qui rend cette mise en scène assez superficielle en fin de compte. 

       Si les expérimentations formelles créatives se prêtaient bien au dérangeant Canine du même réalisateur, je les trouve moins adaptées sur un récit historique plus terre-à-terre dans ses enjeux. Cette esthétique est écrasante, l'artifice trop visible. On notera toutefois une photographie réussie aussi bien dans les plans extérieurs qu’intérieurs dont on reconnaîtra bien sûr l’influence de Barry Lyndon, notamment au niveau de l’éclairage. La rétine a tout de même le droit à sa dose de régalade et c'est tant mieux.

La Favorite

        Quant au reste, je dois dire que je m’attendais à plus corrosif et plus fou de la part du réalisateur. On retiendra bien sûr le personnage de la reine Anne, figure dramatique désolée et manipulée, symbole d’une fragilité intime malmenée par les affres du pouvoir. Olivia Colman n'a d'ailleurs pas du tout volé son oscar pour son interprétation du rôle le plus étoffé du film, celui d'une femme qui passe par tous les  états et ne se remettra jamais de ses 17 grossesses ratées (!). Mais il manque toujours un petit quelque chose pour rendre le film plus palpitant, plus profond. Le bât blesse finalement plutôt au niveau du rythme. Le film a l’art de dresser des personnalités, surtout féminines, fortes et cruelles mais il ressemble davantage à une succession de scènes qui n’ont pas toutes la même envergure.

        L’ensemble se fait toujours en cohérence avec un fil narratif clair et une ironie satirique appréciable mais des passages plus marquants se mêlent à d’autres séquences plus longues et anodines. Il y a d'un côté un réel plaisir à suivre ces intrigues de cour mais il y a aussi un certain manque d’intensité qui se ressent au fur et à mesure que le récit avance. Et c’est bien dommage vu le matériau de base qui pouvait nous laissait croire à un film plus percutant que ça. C'est une oeuvre qui a ses qualités et qui est intéressante dans l'ensemble, ce qui fait qu'elle se suit avec plaisir, mais la prétention de la mise en scène ne plaide pas toujours en sa faveur. En conclusion un film baroque qui ose sur bien des aspects, qui sait filmer le dégueulasse et le débordement mais qui manque cependant cruellement de finesse.

 

Romain

Partager cet article
Repost0
18 mars 2019 1 18 /03 /mars /2019 18:05

       Dick Cheney. Un nom qui semblait si familier durant le mandat Bush Jr mais dont nous ne savions finalement pas grand chose. Et c’est là tout le sujet de Vice, s’attaquer à la vie de cet homme de l’ombre qui a fortement pesé dans la politique américaine depuis les années 70. Le terme « s’attaquer » prend d’ailleurs ici tout son sens tant le cinéaste Adam MacKay va s’acharner à démonter tout un système politique à travers cette figure énigmatique et controversée. Il n’y aura jamais tromperie sur la marchandise tant la démarche est explicite, nous assistons ici à un véritable film à charge pleinement assumé. Et comme tout film à charge qui se respecte, il n’y aura aucun consensus possible et les avis auront du mal à être unanimes. D'autant plus que la liberté de ton de Vice peut aussi dérouter plus d’un spectateur. Un film aux multiples facettes donc qui a beaucoup de choses à raconter et avec panache. Peut-être un peu trop?

Vice

       Après une courte (et amusante) séquence d’introduction présentant les difficultés à faire un film sur un homme aux nombreuses parts d’ombre, le film démarre in media res dans un contexte qui constitue le point d’orgue de la carrière de Cheney : les attentats du 11 Septembre. Mais comment cet homme peu connu et peu charismatique a-t-il pu se retrouver dans cette salle pour prendre des décisions urgentes pour solutionner cette crise inédite et inouïe ? C’est l’un des propos du film, montrer cette ascension sur les marches du pouvoir et les étapes/limites à franchir pour arriver ses fins.

       La narration du film, non-linéaire, est assurée par un mystérieux personnage dont on apprendra le rôle un peu plus tard. Difficile de ne pas être intrigué par ce procédé tout comme il est difficile de ne pas être intrigué par le portrait dressé de Dick Cheney qui apparaît déjà comme étant un homme de contrastes dès sa jeunesse. Aussi intelligent qu’intenable (viré de Yale après une bagarre), mutique et imprévisible, difficile d’imaginer que cet électricien troublé deviendra l’un des hommes les plus puissants de son pays. C’est ce qui est d’ailleurs très intéressant, de voir comment un homme si effacé d’apparence parviendra petit à petit à poser ses pions pour affirmer son emprise autour du pouvoir, aidé par une épouse aux dents longues.

 

       Et c’est ce qui est vraiment palpitant dans ce film, cette progression de Cheney dans la vie politique. Cette plongée dans les arcanes du parti républicain est captivante avec l’accumulation de plusieurs contextes géopolitiques controversés et passionnants (la guerre du Vietnam, le Watergate, le 11 Septembre, etc.). Les grandes étapes de cette carrière sont à la fois marquées par le travail, la chance et les opportunités plus que par un réel sens. On notera cette scène marquante où Cheney s’interroge un temps sur la vision politique des républicains, ce qui déclenchera un fou rire chez Donald Rumsfeld (incarné ici par Steve Carrell). Le film est dans l’ensemble très cynique et acerbe sur le monde politique, ce qui aurait pu être plus marquant s’il ne cantonnait pas qu’au simple monde républicain.

        C’est bien là toute la limite d’un film orienté politiquement et qui ne va pas faire preuve d’un sens de la nuance exemplaire. Ça vise juste dans bien des cas mais ça tombe également dans la facilité et la spéculation. Spéculation qui, même si elle apporte un point de vue intéressant sur Cheney et l’Amérique en général, reste très discutable sur le plan éthique. Ceci dit la part de véracité reste majoritaire et fait plutôt froid dans le dos. Quand on pense à l’intervention américaine en Irak qui favorisait les intérêts de Cheney ou encore la douleur qu’il inflige à sa fille homosexuelle en se positionnant contre les avancées LGBT, on se dit qu’on avait affaire à un sacré personnage qui contraste fortement avec l’image qu’il dégage.

Vice

       Vice est donc un film à l’image de son personnage : plein de contrastes. On a d’un côté une mise en scène dynamique et originale qui sort des sentiers battus du biopic mais ce côté insolent peut s’avérer lassant à la longue tant les effets se multiplient trop souvent. Sur le fond il y a de la matière qui pousse à la réflexion et qui dérange mais encore une fois le côté très orienté et à charge peut déranger. D'autant plus qu’il ne s’agit pas forcément de sujets ultra récents. Contemporains certes mais pas récents. On les connaissait les mensonges liés à l’invasion de l’Irak et les fameuses armes de destruction massives. Et si en parler et montrer les coulisses est intéressant, j’ai l’impression que McKay cherche à nous choquer à partir d’un truc inouï que nous connaissions déjà. C’est du moins la sensation que j’en ai eu, peut-être est-ce dû à cette fougue et cette énergie créatrice folles mais mal canalisées?

       J’appuie volontairement sur les aspects plus dérangeants du film pour mettre en avant ce qui me perturbe un peu mais je ne peux pas dire que je ne l’ai pas apprécié. Il y a quand même une certaine intelligence de traitement dans l’ensemble et le récit est prenant grâce à son approche quasi documentaire. Christian Bale offre une performance solide tant il arrive à s’effacer derrière son personnage (et pourtant Dieu sait que les métamorphoses d’acteurs m’insupportent). On notera également les prestations excellentes d’Amy Adams, Steve Carrell et Sam Rockwell. Ce dernier est génial d’ailleurs dans son incarnation d’un George W. Bush sur lequel on a un angle de vue intéressant, celui d’un pantin plus que d’un leader.

 

       Vice soulève des questions intéressantes tantôt avec habileté tantôt avec maladresse. Il peut enthousiasmer comme exaspérer et faire preuve de finesse comme de lourdeur. Et c’est vraiment dommage que le parallèle très évitable avec la politique de Donald Trump soit dressé dans cette scène de générique qui tombe dans une facilité vulgaire. Pour le reste on tient un film intrigant qui nous offre une plongée passionnante dans le monde politique malgré quelques défauts parasites. L’ampleur du sujet était peut-être trop grande pour tenir sur un seul film de 2 heures mais ce qui est évoqué a de quoi marquer, interroger et alarmer.

       C’est d’ailleurs ce qui fait que je recommande le visionnage de ce film qui explore des pistes intéressantes sur lesquelles le spectateur peut s’appuyer pour creuser le sujet de son côté. C’est ce qui pourra définir Vice, à savoir un fond brut très riche mais traité de manière un peu trop superficielle.

 

Romain

Partager cet article
Repost0
9 mars 2019 6 09 /03 /mars /2019 13:38

       Après une série de trois films complexes plus ou moins controversés sur l’Amérique et le rapport maladif qu’elle entretient avec ses héros, Clint Eastwood renoue ici avec une certaine forme de simplicité qui a souvent fait sa force. Simplicité à la fois thématique, narrative et formelle qui s’éloigne radicalement d’un 15h17 pour Paris aux teintes plus expérimentales qui a dérouté pas mal de monde tout en étant malheureusement très incompris dans ses intentions. La Mule est un projet plus fédérateur sur le papier avec notamment le retour du grand Clint devant la caméra, ce qui fait écho à son succès commercial et critique Gran Torino dont on pensait clairement à l’époque qu’il s’agirait de son dernier rôle au cinéma. Dix ans après, la recette Eastwood derrière et devant la caméra fonctionne-t-elle encore aussi bien ? 

La Mule

       Nous suivons ici les aventures d’un vieil homme, Earl Stone (incarné par Mister Eastwood himself donc), qui va arrondir ses fins de mois en convoyant de la drogue pour le compte d’un cartel mexicain. Ce qui marque d’entrée de jeu, c’est ce sens de l’écriture qui va dérouter assez subtilement le spectateur dans un univers qui paraît si familier au cinéma. En effet lorsque l'on parle de cartels et de trafiquants de drogue sur grand écran, nous avons régulièrement le droit aux clichés des gros durs tatoués qui froncent les sourcils et sont bien méchants. Dans la Mule nous les retrouvons bien mais ils nous auront rarement paru aussi humains. 

       Au fur et à mesure que les missions s’accumulent, les liens entre les gangsters et le vieil homme se tissent et s’étoffent de manière parfaitement naturelle. C’est aussi ce qui rend ce film si attachant en fin de compte, le fait de voir des personnages aux caractéristiques simples mais évolutives et finalement assez surprenantes. Pas de manichéisme primaire donc, ce qui est réellement appréciable. D'autant plus que ces relations atypiques pleines de légèreté contrastent avec les relations délicates que le personnage entretient avec des personnes bien plus proches, à savoir les membres de sa famille.

 

       Thématique régulièrement présente dans la filmographie d’Eastwood, et souvent représentée de manière complexe, le thème de la famille aura rarement été traité de façon aussi introspective chez le cinéaste. Et pour cause, la fille du personnage délaissée par son paternel n’est autre que la fille de Clint Eastwood dans la vraie vie. Cette teinte autobiographique ajoute une autre profondeur à ce thème souvent évoqué et limite éculé au cinéma, d’autant plus que la sobriété du traitement rend le relation crédible. On pourra d’ailleurs dresser un parallèle avec Les Pleins Pouvoirs sorti une vingtaine d’années plus tôt et qui traite d'une relation père-fille similaire en filigrane. Et c’est en voyant La Mule qu’on comprend finalement encore plus le sens que donne Eastwood à la représentation familiale dans son cinéma.

       Outre les relations familiales compliquées, il y a cette confrontation à distance entre la mule et l’agent du FBI incarné par Bradley Cooper qui a une obligation de résultats dans la guerre menée face aux cartels. Confrontation intéressante entre deux personnages qui se croiseront sans se connaître et développeront un lien respectueux intrigant à suivre pour le spectateur, ce qui est finalement dans la continuité de chaque relation que l’on verra apparaître à l’écran. Et c’est une des grandes forces de La Mule, le fait que chaque personnage existe suffisamment à l’écran pour qu’on s’y attache et qu’on ressente de l’empathie. Le vieil Earl est bourré de défauts. Il a délaissé sa famille pour le boulot, est un peu raciste sur les bords sans le faire exprès et a sa propre morale pas exempte de tout reproche mais qu’est-ce qu’on s’y attache. Idem pour son ex-femme et sa fille, idem pour le chef du cartel et le protégé de ce dernier, idem pour les gangsters du garage. Une écriture de personnages toute simple mais terriblement efficace et qui ne les limite pas à de vulgaires stéréotypes.

 

 

La Mule

       Le film dans l’ensemble mêle habilement les séquences légères et humoristiques aux scènes plus dures et plus tendues, du fait notamment de la persévérance et de l’obstination du vieil Earl qui fait là un job comme un autre avec la même liberté que sa précédente activité de chef d’entreprise. Ce qui ne manquera pas d’énerver plus d’une fois les membres du cartel et de dérouter plus d’une fois ceux du FBI. Après les missions ont tendance à se dérouler assez rapidement et sont représentées de façon peu périlleuses, ce qui est ma petite déception. Pas de quoi bouder son plaisir non plus tant le film est bien rythmé et mis en scène avec une efficacité redoutable. J'ai toujours l'impression qu'on a tendance à l'oublier mais Eastwood reste un très bon formaliste avec une esthétique reconnaissable entre mille. 

       Et sur un plan personnel, je dois bien dire que le film apporte son lot d’émotions. Non seulement par son histoire et son sujet mais aussi par la présence à l’écran d’un Clint Eastwood qui n’a jamais été filmé aussi âgé. Je trouve sa présence particulièrement émouvante tant c’est un acteur pour qui j’ai toujours eu de l’admiration et que j’ai vu évoluer au fil des âges dans des films souvent marquants. Et le voir là, en pleine forme mais marqué par les stigmates de la vie à 88 ans, c’est vraiment quelque chose de spécial. 

 

       Mais si on enlève cette parenthèse, il s’agit bien là d’un film aussi simple que touchant, dans la lignée de son magnifique Honkytonk Man (qui traite d'une relation familiale, tiens tiens). Nous n’assisterons pas au film le plus audacieux ni le plus original du monde mais nous assistons tout simplement à un beau petit morceau de cinéma très agréable et tout en sobriété. En tout cas ça confirme le retour en force opéré par Eastwood depuis 5 ans après une série de films anodins et insipides (coucou Invictus). Et on espère que ce bon vieux Clint a encore quelques idées derrière la tête pour continuer à nous sortir des films de ce calibre.

 

Romain

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : La dernière séance
  • : “If you're going to tell people the truth, be funny or they'll kill you.” Billy Wilder Rejoignez-nous sur Facebook et Twitter : https://www.facebook.com/LaDerniereSeanceBlog https://twitter.com/DerniereSeance1
  • Contact