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17 février 2016 3 17 /02 /février /2016 09:30

       Michael Peterson est un auteur vivant à Durham, Caroline du Nord, avec sa large famille recomposée. Entre le succès de ses livres semi-autobiographiques sur la guerre du Vietnam et les revenus de sa femme, occupant un poste de direction dans une grande entreprise de télécommunication, ils ont de quoi faire vivre tout ce petit monde sans problème dans une superbe villa. Les enfants, bien que provenant de trois couples différents, semblent tous heureux, élevés par des parents très ouverts d’esprit et bienveillants. Mais le 9 décembre 2001, Michael appelle le 911 à plusieurs reprises, paniqué, en état de choc, implorant qu’on lui envoie de l’aide. Il vient de trouver sa femme, Kathleen, inconsciente au pied des escaliers, dans une mare de sang. D’après son témoignage, il était resté presque deux heures au bord de la piscine à méditer après qu’elle soit partie se coucher. Elle mourra avant que les ambulances ou la police n’arrivent. Commence alors un feuilleton judiciaire dément, aux multiples rebondissements à peine croyables, parsemé de profonds questionnements sur le système judiciaire américain.

 

 

       Jean-Xavier de Lestrade, le réalisateur français derrière cette série documentaire, dit avoir eu l’intime conviction qu’il devait filmer cette affaire après avoir interviewé l’équipe de l’accusation, qui lui semblait bien trop sûre de son coup pour une affaire aussi trouble. On pourra dire qu’il a eu du nez, mais surtout de la chance, tant le sujet s’est révélé en or. Pendant presque deux ans, lui et son équipe suivent la famille Peterson au quotidien, n’ignorant rien ni personne. Ils accumulent ainsi plus de 600 heures d’images, dont il ne gardera « que » 6 heures pour la série. Par rapport à la récente Making a Murderer, le choix est clairement fait de passer moins de temps sur le procès, aussi passionnant qu’il soit, pour embrasser une vision plus large de l’affaire. On reste encore une fois du côté de la défense, mais le regard qui est jeté sur la famille me semble aussi neutre que possible. Rien n’est filtré, je pense notamment de nombreuses blagues que l’on n’a pas l’habitude de voir dans ces situations (mention à David Rudolf, l’avocat de la défense). Lestrade est plus intéressé par ce que l’affaire révèle de la société, de la justice, par les drames personnels, que par une simple défense biaisée de l’accusé.

 

       Certaines séquences m’ont paru être l’exemple parfait à donner à ceux qui critiquaient Gone Girl sur sa représentation soi-disant caricaturale de la presse et des médias. En voyant certains journalistes prendre parti de façon éhontée et tirer leurs propres conclusions en se basant sur des rumeurs, difficile de ne pas enrager. Certains de leurs collègues font vraiment leur travail et remettent en cause les contradictions de l’accusation comme de la défense, une nuance bienvenue. Un autre point évoqué dans la série est l’assimilation des faits par le grand public. Il a été prouvé à de nombreuses reprises que la façon dont ils nous sont présentés, avec quel degré de certitude apparent et surtout quelle interprétation, nous influence durablement et qu’il est nettement plus difficile de changer d’avis. Qui n’a jamais appris un jour qu’il avait tort sur un point depuis des années, simplement parce que cette connaissance n’avait jamais été remise en cause ? Notre société a le tort de présenter et de traiter les suspects et les accusés avec bien trop de certitude, de méfiance, chacun va livrer sa petite théorie, les journalistes vont les harceler, sans avoir vraiment conscience de détruire leur vie s’ils sont innocents. C’est pourtant ce qu’est censée garantir la présomption d’innocence, mais comme le dit Michael, il semble depuis le début être coupable avant d’être prouvé innocent.

 

       Difficile donc de continuer sans évoquer ce que je pense de l’affaire, autant le dire tout de suite : je suis fermement convaincu que Michael Peterson est innocent. Je peux tout à fait comprendre que certains nourrissent de sérieux doutes sur Steven Avery (Making a Murderer), que l’enquête ait été une farce ou non, car il n’inspire pas forcément confiance à tout le monde. Dans le cas de Michael Peterson, j’ai été convaincu parce que le documentaire montre tous les points de vues, notamment ceux des membres de la famille qui ont fini par se retourner contre lui, et parce qu’il apparaît comme un homme profondément bon et humain sur les six heures à notre disposition. Sa famille et ses amis l’aiment (ou l’aimaient) sans réserve, tout le monde décrivait leur couple comme fusionnel, son appel au 911 est déchirant, bref il ne m’en aurait pas forcément fallu plus pour le croire. Si on y ajoute les preuves scientifiques des experts de la défense et les nombreux rebondissements qui suivent, il n’y a plus tellement de place pour le doute, à mon humble avis. Je préfère le donner, même si la série ne se limite en aucun cas à un simple suspense sur sa culpabilité, car il impacte forcément mon appréciation.

 

 

       Ce qui captive dans cette série, qu’on pense le personnage innocent ou non, est encore une fois la méticuleuse démonstration que dans l’enquête et le procès, rien n’a été épargné à l’accusé pour l’envoyer en prison. Michael a un monologue où, tirant sur sa pipe, il se demande comment peuvent bien faire les pauvres pour se défendre, s’il n’y arrive pas avec un excellent avocat et de nombreux experts. Il est possible de trouver des secrets sur n’importe qui, à partir du moment où l’on se met à disséquer sa vie personnelle et intime. Une fois certaines informations divulguées au grand public, les interprétations seront légion et pourront peindre cette personne comme coupable, quoi qu’il dise. Un exemple flagrant nous vient de l’accusation, qui n’hésite pas à mettre en avant la profession de romancier de l’accusé, comme un atout pour masquer le meurtre de sa femme en accident (alors qu’il n’écrit que sur la guerre du Vietnam). Je m’étais fait la réflexion que Stephen King serait définitivement foutu si sa femme venait à mourir d’un tel accident, et qu’il se retrouvait face à une accusation qui ne recule devant aucun coup bas. Un ex-alcoolique ayant eu des accès de violence, à l’imagination aussi débordante que morbide, en couple depuis 45 ans, que de ragots peut-on imaginer ! Il serait tellement facile, comme dans la série, de citer des passages de ses livres où il expose des pensées très noires et légitimement terrifiantes en les sortant de leur contexte.

 

       Ceci m’amène à un autre sujet excessivement passionnant et trop vite laissé de côté à mon goût dans la série diffusée par Netflix, ce sont les jurés. En France, les six jurés civils, le président de la cour d’assises et ses deux assesseurs votent à bulletin secret après délibérations, il faut au moins 6 voix sur 9 pour prendre une décision défavorable à l’accusé, sans quoi il sera acquitté (merci Wikipédia, j’avais un doute là-dessus depuis longtemps). Aux Etats-Unis, le système est très différent car, comme on peut le voir dans l’excellent 12 Hommes en colère, c’est un jury populaire de douze personne qui doit parvenir à un verdict unanime, aussi absurde que cela puisse paraître dans des affaires complexes. Cela entraîne, en cas de désaccords majeurs, des débats interminables dans lesquels certains tenteront d’imposer leurs convictions avec plus de véhémence que d’autres, où la psychologie et la dynamique de groupe pourront prendre plus d’importance que l’affaire elle-même. Certains vont craquer parce qu’impressionnables, d’autres par lassitude ou fatigue au bout de plusieurs jours, et il apparaît que c’est souvent ceux qui votent coupable qui l’emportent dans ce genre de cas. De plus, n’avoir que des civils dans le jury implique un certain manque de recul et d’expérience par rapport aux affaires sordides qui peuvent être traitées, où l’émotion et les préjugés l’emporteront trop souvent sur l’étude minutieuse des faits et des témoignages.

 

       Les innocents envoyés en prison, les fausses accusations, la corruption, les pressions, cela existe aussi en France, je ne dis en aucun cas que notre système est parfait. Comme le démontre très bien l’avocat de la défense, le système américain est volontairement imparfait pour que des innocents ne soient pas condamnés, en théorie. Seulement il semble que les jurés prennent parfois leur rôle trop à cœur et cherchent à déterminer par eux-mêmes si la personne est coupable ou innocente, alors qu’ils ne sont pas là pour ça. Voter coupable signifie que pour chacun, en son âme et conscience, l’accusation a présenté un dossier sur lequel ne plane aucun doute raisonnable. A nouveau, le verdict non coupable indique seulement que la culpabilité n’a pas été prouvée au-delà de ce doute, pas que la personne est innocente.

 

 

       Pour revenir au sujet, un aspect du procès abordé dans la série que l’on voit rarement dans la fiction est l’étude des réactions probable des jurés. Une partie de l’argent consacré au procès va à des questionnaires, des enquêtes d’opinion, des sessions avec des volontaires que l’on confronte aux pièces à conviction, aux vidéos, à l’appel au 911 et bien d’autres éléments. Un processus riche d’enseignements, qui montre bien vite à la défense ce qui pourrait se retourner contre eux, surtout sur le plan émotionnel. L’experte engagée sur ce domaine leur fera même remarquer que l’on peut apporter toutes les preuves scientifiques irréfutables du monde, si des jurés doutent, ils auront tendance à se replier sur le versant affectif, sur l’histoire tissée par le procès.

 

       Bien que j’ai envie de vous conseiller la série et de ne rien raconter de son déroulement, je suis bien obligé de vous parler du téléfilm sorti huit ans après la série et suivant les nouveaux développements de l’affaire. Partant de là, vous vous doutez que s’il existe une suite, c’est que tout ne s’est pas déroulé comme prévu pour Michael Peterson et la défense (même si on le sent venir). Ce téléfilm reprend étrangement trop d’extraits de la série pendant une vingtaine de minutes, rendant le début assez pénible, même si on peut comprendre qu’un rappel était nécessaire après tout ce temps. Comme dans la trilogie Paradise Lost, on retrouve avec émotion les protagonistes de l’affaire des années plus tard, qui ont vieilli, grandi, mûri, qui attendent avec espoir l’élément qui fera basculer l’affaire, ou bien restent fermement convaincus de la culpabilité de Michael. On retrouve également l’attention du détail de Lestrade, sa capacité à saisir les moments poignants en toute sobriété, son étude minutieuse de la famille. Des révélations fracassantes (que je ne dévoilerai pas, elles) vont permettre à la défense de repasser devant le juge pour demander un nouveau procès, en démontrant que Michael Peterson n’a pas eu droit à un procès équitable en 2003. Le tout forme un documentaire édifiant et profondément nécessaire, et je peux jurer que je n’utilise pas cet adjectif souvent. Si tout ceci vous a intrigué (je l’espère), foncez regarder la série et le téléfilm sans chercher d’informations sur l’affaire, je vous promets que vous le regretterez pas.

 

 

9/10

 

Arnaud

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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 17:30

       C'est bien beau les critiques de films récents mais une fois de temps en temps il faut bien aborder certains films qui méritent qu'on les remette au premier plan. Laissons cet honneur au film Koyaanisqatsi réalisé en 1982 par Godfrey Reggio. Point de fiction ici, il s'agit d'un film documentaire expérimental sans voix-off ni interventions, bref un film sans paroles d'une heure et demie où seule l'image fait office de narratrice. Oui, oui, ça ne parle absolument pas et pourtant ce film en a des choses à dire. Qu'est-ce qui se cache donc derrière ce titre qui semble barbare à première vue?

 

http://smhttp.14409.nexcesscdn.net/806D5E/wordpress-L/images/koyaanisqatsi_14-640x457.jpeg

 

       Je ne savais pas réellement ce dans quoi je m'embarquais en lançant le Blu-Ray de Koyaanisqatsi. Mais une fois le voyage fini, je savais que je venais de vivre une des plus grandes expériences cinématographiques de ma vie. C'est bien simple, c'est un film qui m'a scotché sur mon fauteuil du début à la fin, et j'ai eu bien du mal à émerger suite au choc que je venais de recevoir.


      Ce documentaire aborde plus précisément l'évolution de l'homme contemporain et de son environnement. Les premières minutes du film font la part belle à de sublimes paysages américains, chargés d'histoire et berceau de leur civilisation. S'enchaînent ainsi les prises de vues plus sublimes que les autres nous montrant à quel point la nature est belle. Dit comme ça, on pourrait s'attendre à un film écologiste comme il en existe des centaines, mais c'est heureusement bien plus que ça.

 

       Si le film nous montre des choses sans aucune explication orale il n'est pas dépourvu de son pour autant. A vrai dire Koyaanisqatsi est une chorégraphie géante. Des états naturels nous passons directement aux avancées technologiques avec l'apparition de machines à l'écran en train d'aménager l'espace, avant de faire diverses escales dans des villes donnant l'impression de toucher le ciel avec leurs hauts buildings où vivent des millions de fourmis: les êtres humains.


       Reggio revient à l'essence-même du cinéma avec une narration par l'image rythmée par l'exceptionnelle composition de Philipp Glass. Rarement on aura vu une telle harmonie entre l'image et le son. C'est comme ça que Koyaanisqatsi nous raconte une histoire, par le biais d'un ingénieux montage couplé à une bande-son absolument délectable. C'est du délire cinématographique ! Koyaanisqatsi est une des oeuvres les plus audacieuses qu'il me fut donné de voir, j'ai eu l'impression permanente que Reggio, cinéaste pourtant très méconnu, réinventait le cinéma.

 

http://www.hundland.org/hd/k/koyaanisqatsi1.jpg

 

        D'un rythme unique, Reggio nous embarque dans son monde, dans notre Monde. Toute cette vie grouillant dans les villes, avançant sans but, ne semblant vivre que pour travailler. Les plans fourmillent de détails, impossible de tout voir du premier coup. La caméra capte la vie mieux que n'importe quel oeil. Les connaisseurs ne manqueront sûrement pas de penser à l'Homme à la caméra, ou à la théorie du ciné-oeil en général, de Dziga Vertov qui disait que le cinéma pouvait retranscrire le réel de manière plus profonde encore grâce à ses multiples capacités formelles. Cette théorie prend tout son sens ici, par le biais de ralentis, d'accélérés et de multiples procédés techniques, Reggio nous offre une réflexion plus poussée sur l'homme, son origine, son présent et même sur son futur.

 

       L'être humain n'apparaît, à première vue, que comme du bétail qui s'entasse et semble dépourvu de personnalités. J'ai encore en tête ce plan où la Bourse semble occupée par des fantômes, ces plans où les escalators et les métros "vomissent" leurs utilisateurs. Couplées à ceci, nous retrouvons également ces multiples images qui semblent confirmer que l'homme se conduit lui-même vers sa propre perte en polluant, en détruisant. Mais Reggio ne vient jamais donner de coup de coude à son spectateur, il ne juge pas ce qu'il filme. Au contraire, le propos est d'une grande modestie, il ne fait que montrer. Et les images nous révèlent ce que nous sommes et ce vers quoi nous allons.

 

       Pour autant, l'être humain n'est pas méprisé. Si pendant une bonne heure nous avons l'impression de ne contempler que des fourmis, à un moment donné le défilé frénétique cesse et la caméra s'arrête dans la rue, en plein milieu d'une foule opaque. Elle capte quelques visages qui en disent beaucoup. On y voit des personnes regardant la caméra d'un oeil amusé, d'autre d'un oeil agacé, d'autre d'un oeil méfiant. On voit ce vieil homme contraint de mener des visites guidées pour s'en sortir financièrement pendant ses vieux jours, on voit cette femme qui galère à allumer une cigarette... On voit une multitude de visages, de personnes qui ont une petite histoire à nous raconter, une personnalité bien définie. L'occasion de montrer qu'il y a bien une vie dans cette fourmilière, des entités qui existent, ressentent des choses. Des esprits qui s'entrecroisent chaque jour sans y prêter attention.


       Même si un côté alarmiste et déprimant peut ressortir du film, il y a bel et bien une part d'humanité qui nous est révélée et qui nous prouve que nous existons bel et bien, qu'il y a un Moi derrière chacun. Koyaanisqatsi nous emmène loin dans la réflexion, nous pousse à questionner notre personne et le monde qui nous entoure sans pour autant pointer du doigt. Telle est la force de ce documentaire.

 

http://www.filmjunk.com/images/weblog/2013/01/KoyaanisqatsiReview.jpg

 

        Si je prends la peine de parler de ce film c'est parce qu'il m'a emmené très loin, me transcendant comme rarement. Visuellement c'est époustouflant, une véritable merveille esthétique. L'oeil n'a pas de répit, les plans magnifiques s'enchaînent sans pause. Les villes, symboles d'industrialisation galopante et de destruction de la nature, sont pourtant montrées telles que nous les connaissons. Belles et majestueuses. Ces plans symétriques des gratte-ciels, ces passages en accéléré sur des autoroutes ou dans d'autres endroits nous montrent une réalité tout aussi sublime que destructrice. Pour autant la forme ne contredit jamais le fond, on constate juste l'étendue du savoir-faire humain teinté de toute la beauté que celui-ci peut inculquer à ce qu'il créé.

 

       Le réalisateur a ainsi voulu nous montrer "la beauté de la bête" d'après ses dires, c'est réussi. Tour à tour nous passons d'une observation globale, d'un constat amer, d'une critique vive à la sensation que l'être humain a bel et bien une personnalité et une existence propres mais que sa liberté n'est qu'illusoire. Il y aurait matière à disserter des heures sur ce film, et pourtant le visionnage est une formalité. Il nous offre un plaisir immédiat et continue de nous hanter des jours et des semaines après visionnage. Bref, appelons ceci un chef d'oeuvre, c'est une définition plus simple.


        Ce documentaire nous fait vivre une expérience des plus exaltantes et malgré que ce qu'on pourrait croire, j'ai du mal à expliquer textuellement les raisons pour lesquelles ce film est juste grandiose. Intelligent dans son montage et sa manière d'aborder son sujet, profond grâce à la réflexion qu'il nous propose et audacieux dans son concept, Koyaanisqatsi est pour ma part l'un des plus grands films de l'Histoire du cinéma. Il a 30 ans et pourtant n'a jamais été autant d'actualité. Cette expérience sensorielle inouïe mérite d'être vécue pour tout ce qu'elle contient et ce qu'elle à nous proposer. Expérience si intense qu'à plusieurs moments les larmes me sont montées. Un voyage extraordinaire bercé par la sublime composition de Philipp Glass, une pépite qui m'a prise au tripes du début à la fin. Mais qu'attendez-vous donc pour le voir !

 

10/10

 

Romain

 

 

 

[L'avis d'Arnaud]

Que dire après une critique aussi complète et inspirée ? Ayant vu le film il y a quelques années il m'est difficile d'en parle aussi précisément, mais j'en garde un grand souvenir, celui d'une oeuvre bouleversante, terriblement lucide et visionnaire. Il y a trente ans, l'écologie était loin d'être une préoccupation aussi importante que maintenant, mais le réalisateur avait cerné avec précision la plupart des désastres à venir. L'absence de voix off est un procédé relativement courant chez les bons documentaristes, ceux qui savent le mieux laisser parler leurs images (sans dire que sa présence est un défaut bien sûr), mais l'absence totale d'interviews, de paroles est bien plus rare. Tout passe par la puissance des images, du montage et de la musique transcendante de Philip Glass. Je ne peux d'ailleurs jamais m'empêcher de sourire en me rappelant que je dois la découverte de ce film à Watchmen, qui utilise assez bien la superbe piste "Pruit Igoe". Entre cette pépite et le roman graphique Watchmen, il est amusant de constater que je dois la découverte de deux oeuvres majeures dans leur domaine à Zack Snyder, comme quoi ! Peu importe le chemin qui vous aura mené à ce film, si jamais c'est notre blog, n'hésitez pas à nous faire part de votre avis, ce sera toujours une grande satisaction d'avoir donné envie à quelqu'un de le voir.   -   8.5/10

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 09:00

       Critique spéciale aujourd'hui puisque ce n'est pas d'un film sorti récemment que je vais vous parler, mais d'un film un peu plus vieux puisqu'il date de 1971. Il s'agit de Johnny s'en va-t-en guerre, le seul et unique film réalisé par Dalton Trumbo davantage connu en tant que scénariste. L'histoire est centrée sur le destin de Joe Bonham, un jeune soldat gravement blessé par une explosion d'obus, défiguré, amputé des quatre membres, aveugle, sourd et muet, ne devinant l'environnement qui l'entoure uniquement grâce à la sensibilité de sa peau. D'emblée on sait que ce ne sera pas très joyeux. Si aujourd'hui j'ai envie de vous parler de ce film c'est qu'il représente pour moi le cinéma tel que je l'aime: celui qui me procure de très fortes émotions. 

 

    http://ferdyonfilms.com/johnny%20got%20%20his%20gun.preview.jpg

 

       Johnny Got His Gun est d'abord une oeuvre littéraire publiée par Dalton Trumbo en 1939. La date de publication située juste au début de la Seconde guerre mondiale était hélas inopportune pour une oeuvre pacifiste, synonyme de défaitisme en temps de guerre. Après avoir été victime de la chasse aux sorcières menée par le sénateur McCarthy dans les années 50, il fut obligé de signer des scénarios sous un nom d'emprunt. Dès 1960 il a pu de nouveau utiliser son propre nom et s'est lancé dans la réalisation pour adapter son propre roman, cinq ans avant sa mort en 1976.

       Le film est plutôt méconnu de nos jours après avoir été pourtant l'un des emblèmes des pacifistes américains durant les contestations contre la guerre du Viêt-nam. Les fans de Metallica ont cependant pu en découvrir des images utilisées dans le clip One du célèbre groupe de metal,     apparemment très admirateur du film de Trumbo. Pourtant ce dernier avait fait un tabac à Cannes en 1971, empochant le prix spécial du jury et une certaine reconnaissance publique et critique.

 

       Johnny s'en va-t-en guerre est un film que je voudrais conseiller à tout le monde avec cependant beaucoup de prudence car il s'agit sûrement de l'oeuvre la plus pessismiste et la plus déchirante qu'il me fut donné de voir. Je conçois tout à fait que certaines personnes détestent ressentir des émotions tristes en regardant un film, mais celui-ci me paraît tout de même essentiel pour la puissance de son propos. Ses qualités cinématographiques sont également indéniables, bien qu'elles puissent paraître totalement secondaires face à la densité du message proposé. C'est un film profondément humain avant tout qui dénonce l'absurdité de la guerre et qui est un véritable réquisitoire pour l'euthanasie, le droit de mourir en cas de graves blessures.


      Ce qui est réellement génial dans ce film c'est que le sujet est abordé avec beaucoup de pudeur et sans aucune lourdeur. Trumbo ne filmera pas les multiples mutilations du corps de Johnny, on ne verra que le sommet de sa tête, son torse et rien d'autre. Il n'y a donc pas de scènes écoeurantes à proprement parler, l'écoeurement vient plutôt de la prise de conscience par le spectateur du cauchemar que va vivre Johnny. En effet Joe a encore toute sa conscience et il est prisonnier d'un corps meurtri sans aucun moyen d'expression, puisqu'il est dépourvu de ses membres et privé de presque tous ses sens. Seule la sensibilité de sa peau lui permet de percevoir ce qui l'entoure. Les médecins étant persuadés que son cerveau est en grande partie détruit et que par conséquent il n'est pas conscient de ce qui se passe, Johnny sera utilisé comme cobaye afin de pouvoir soigner d'autres blessés de ce genre à l'avenir. Ceci donne cette impression de cauchemar sans fin pour le jeune soldat.

 

http://blu.stb.s-msn.com/i/2B/9F19D6E7C25A536E4EA1173293917.jpg

 

       Néanmoins le film ne contient pas que des plans sur Johnny mutilé. Le scénario est construit comme s'il était dicté par les pensées du personnage. Ayant conservé ses capacités cérébrales, celui-ci se souvient, rêve, fantasme... Le film navigue dans la vie de Johnny entre son passé, ses rêves et la dure réalité. La frontière entre ses souvenirs et ses fantasmes reste d'ailleurs assez mince, certaines séquences nous perdent habilement de par leur caractère presque surréaliste dans un univers terre-à-terre.

       La mise en scène de Trumbo est remplie d'idées. Les passages dans le présent où Johnny est mutilé sont en noir et blanc tandis que les séquences oniriques et passées sont en couleur, ce qui accentue le calvaire de Johnny, ce qui nous fait comprendre ce qu'il endure. Je pense que c'est le personnage de cinéma pour qui on peut ressentir le plus d'empathie. Il n'était pas exceptionnel ni parfait, c'était quelqu'un comme tout le monde à qui le destin a joué un tour cruel. Timothy Bottoms est génial dans ce rôle, tout en retenue, un acteur peu connu du grand public qui mérite davantage de reconnaissance (il est également en tête d'affiche de La Dernière Séance de Bogdanovich, un merveilleux film). 

 

       Le film regorge de passages aussi magnifiques que tragiques. On sent la petite touche surréaliste amenée par Luis Bunuel qui a collaboré sur ce film. Les séquences de rêve, notamment celle où Johnny retrouve sa fiancée dans un vaste espace vert, sont surprenantes. Les scènes avec le "Christ" interprété par Donald Sutherland sont à proprement parler géniales et troublantes puisqu'on ne sait pas si c'était réel ou imaginé. Les discussions entre Johnny et le Christ nous montre la naiveté de ce premier, son innocence touchante. C'est également une critique de la religion et de son hypocrisie. La scène m'ayant le plus marqué reste celle de la canne à pêche où Johnny perd celle de son père alors que celle-ci comptait beaucoup pour lui. Jason Robards (mythique Cheyenne dans Il était une fois dans l'Ouest) apporte sa figure attendrissante dans le rôle du père. On n'eût pas rêvé meilleur casting pour ce film.


       L'ennemi n'est pas visible dans le long-métrage, on ne verra que le corps d'un allemand pris au piège dans des barbelés. Pour Trumbo le camp ennemi n'est pas plus responsable de la mutilation de johnny que la guerre elle-même. Il montre que celle-ci blesse, tue mais surtout déshumanise. C'est un constat amer sur l'être humain et une violente charge anti-militariste, un peu à la manière des Sentiers de la gloire ou d'un Full Metal Jacket de Stanley Kubrick bien que ces derniers soient moins durs psychologiquement. L'empathie que l'on ressent pour Johnny est telle que son sort ne pourra laisser indifférent. On voit celui-ci se perdre dans son esprit et souffrir, victime d'une véritable torture mentale. On souhaite sa mort, son soulagement.

 

http://ferdyonfilms.com/johnny%20got%20his%20gun%20still.jpg

 


       Oui Johnny Got His Gun n'est vraiment pas joyeux, c'est un film pessimiste, triste et déchirant. Sur un plan personnel j'avoue avoir lâché toutes les larmes de mon corps vers la fin tant j'étais ému. Trumbo ne surlignera jamais chaque scène, aucun violon ne sera utilisé. Les scènes nous sont présentées telles quelles, sans musique tire-larmes, juste avec la voix-off, celle de Johnny, se demandant ce qu'il se passe, exprimant sa souffrance mais aussi ses rares joies. Celle de sentir son infirmière veiller sur lui et tentant de communiquer avec, lui montrant ainsi qu'il n'est pas seul et qu'il est comprus, celle de se souvenir et même celle d'imaginer son avenir prochain.

      C'est une oeuvre profondément bouleversante, avec des idées de cinéma et aucune lourdeur scénaristique. L'ensemble est maîtrisé, habilement mené et l'émotion est là. C'est un film que je voudrais faire découvrir tant celui-ci compte désormais énormément pour moi, rarement je n'ai été aussi saisi par un film. Johnny s'en va-t-en guerre est un véritable chef d'oeuvre, intemporel, inoubliable, magnifique.

 

9.5/10

 

Romain

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