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9 mars 2015 1 09 /03 /mars /2015 14:35

       Ce n’est un secret pour personne que Clint Eastwood se traîne une image de facho à tendance NRA depuis L’inspecteur Harry. C’est malheureusement un problème récurrent au cinéma et surtout à Hollywood, que les spectateurs aient autant de mal à différencier un acteur de ses rôles (et un réalisateur des thèmes qu’il aborde, au passage). L’acteur/réalisateur est clairement patriote, fier du pays qui lui a donné sa chance alors qu’il ne partait de rien, étant d’origines modestes et ayant subi de plein fouet la Grande Dépression. Pour autant, le grand Clint n’est pas de ceux pour qui le patriotisme vient avec des œillères, bien au contraire. Il est humaniste avant tout et n’a, comme il le rappelait dans ses récentes interviews, jamais été favorable aux interventions de son pays en Afghanistan et en Irak. Tout simplement, il n’est même pas favorable aux armes à feu telles qu’elles sont utilisée dans son pays. Son diptyque sur la bataille d’Iwo Jima devrait être une preuve suffisante de ses convictions, et il n’est assurément pas devenu gâteux depuis.

 

 

       Le problème, à mon sens, est que le film est plus jugé pour son sujet que pour son traitement. Comme si le simple fait de réaliser un film sur Chris Kyle le glorifiait ou justifiait ses actions. De même, que tout ne s’y déroule pas à 100% « comme en vrai » ne rend pas le film moins bon ou moins intéressant. C’est une problématique quelque peu stérile qui est soulevée sur beaucoup de biopics récents, mais qui semble intéresser nettement moins lorsque l’on parle de classiques (au hasard Titanic ou La liste de Schindler, qui se permettent quelques libertés). Tant qu’il n’y a pas de mensonge éhonté du moins, je n’ai aucun problème avec cela, l’important reste que les modifications soient au service du film, des motivations des personnages, et ici c’est le cas. Le parfait exemple reste le fameux sniper ennemi, qui a bien existé mais qui n’a pas livré un tel duel avec Chris Kyle. Pourtant il est bien vu d’avoir un alter ego dans le camp adverse au sein du film, une sorte de némésis qui le pousse à revenir et à prendre plus de risques que nécessaire, et qui donne quasiment un sens à sa mission.

 

       Ironiquement, le succès du film et l’émotion qu’il a pu susciter aux Etats-Unis joue contre lui, donnant des raisons faciles de l’étiqueter comme de la propagande. Il faut dire que les réactions extrêmes avec d’un côté ceux qui voient dans le film un superbe hommage à Chris Kyle, et de l’autre ceux qui y voient une justification de l’interventionnisme du pays, n’aident pas à approcher l’œuvre de façon neutre. Pourtant c’est bien ce qu’il faudrait faire, c’est qui rejoint au mieux à l’approche du réalisateur. Cela peut déranger certains qu’il ne prenne pas vraiment parti, mais d’un côté les (très bons) films antimilitaristes ne manquent pas, il est donc intéressant de voir quelque chose de plus nuancé. En fait, un des points que je trouve passionnants est que Clint Eastwood a dû composer avec l’image d’un soldat vu comme un héros par une partie de son pays ainsi qu’avec la famille qui, bien entendu, était très vigilante sur l’adaptation de l’autobiographie en question. Il serait inutile et naïf de prétendre le contraire, dans ce genre de situation n’importe quel réalisateur n’aurait pas totalement eu les mains libres. Rien ne dit non plus qu’Eastwood aurait abordé le sujet différemment sans ces conditions, en tout cas je ne l’ai pas senti si coincé que ça.

 

    Dans ce contexte, il est donc passionnant de voir comment il va réussir à esquiver cette forme de « censure » et livrer un portrait du soldat riche et complexe sans pour autant trahir ce qu’il représentait. Sans surprise, il faut chercher des raisons aux convictions de Chris Kyle du côté de son éducation, avec un père fier de son pays, qui lui inculque une vision quelque peu simpliste du monde, l’initie tout jeune à la chasse et donc aux armes à feu. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne s’est pas enrôlé dans l’armée à la sortie du lycée, ce fut l’électrochoc causé par des attentats contre ses compatriotes au Moyen-Orient qui va l’y pousser. Il se révèle être un tireur d’élite extrêmement doué, mais surtout un soldat profondément intègre, qui ne sera pas du genre à remettre en cause l’engagement de son pays dans ces conflits, même quand d’autres autour de lui perdent la foi. Lui enchaîne les tours dans le but de faire son devoir du mieux qu’il peut et sauver toujours plus de soldats américains, une cause bien évidemment sans fin et de plus en plus dangereuse au vu des risques qu’il prend.

 

 

C’est bien dans ces contradictions que se dessine le portrait d’un homme plus torturé qu’il n’y paraît, profondément miné par ce qu’il a vécu à la guerre (ses deux premières victimes notamment), et qui a du mal avec le statut de « légende » qu’on lui prête. Etre forcé de se convaincre que tuer des femmes et des enfants peut faire partie de son travail est à l’évidence un exercice périlleux, qui l’amène à chercher des justifications comme il le peut et à considérer ses ennemis comme des sauvages. Comment ne pas craquer dans le cas contraire, face à des actions aussi contraires à notre conscience, notre morale et même aux valeurs qui lui ont été inculquées ? Eastwood ne cherche clairement pas des excuses en démontrant comment un soldat intègre, loin d’être un psychopathe (ce qui n’aurait aucun intérêt), est lentement mais sûrement rongé de l’intérieur par les évènements et les dilemmes rencontrés dans une guerre, n’importe laquelle que ce soit.

 

La condition de soldat est un sujet fascinant et traité par des milliers d’œuvres de différents arts, et le cinéma n’est pas en reste. Peut-être qu’il y a une question d’habitude qui entre en jeu, puisque les meilleurs films sur le sujet dénoncent l’absurdité et la violence de la guerre, quand ce n’est pas clairement le cas ça paraît louche. Je pense simplement que ce film est complémentaire d’autres œuvres faites sur le sujet, qu’il n’est pas nécessaire que tout soit montré pour comprendre le point de vue d’Eastwood. Par exemple, le fait de montrer un tortionnaire chez les ennemis mais pas dans l’armée américaine ne veut pas dire que le sujet est occulté, simplement le film nous fait suivre Chris Kyle et ne prétend pas être une étude de l’armée dans son ensemble. Cela avait déjà été montré, avec polémique à la clé, dans Zero Dark Thirty, tous les films n’ont pas vocation à en parler. Comme la mini-série Generation Kill (qui partage trois acteurs avec ce film et que je recommande chaudement) n’a pas vocation à parler de torture et ne montre pas autant de combats que le présent film, car elle se concentre sur l’absurdité de la guerre pour les soldats, par le manque d’action et les contradictions hiérarchiques.

 

       Pour revenir au film, j’ai vraiment du mal à comprendre comment on peut voir de la propagande dans l’histoire de Chris Kyle telle qu’elle nous est présentée, un homme qui n’arrive plus à vivre en dehors de la guerre, qui perd tous ses repères, s’éloigne de sa famille, de ses amis et ne supporte que très mal son statut de héros. Comme d’autres l’ont noté, l’utilisation du drapeau américain est quand même loin d’être hasardeuse au sein du film, et contraste fortement avec l’affiche d’assez mauvais goût. C’est simple, à l’exception du générique de fin, on ne le voit que deux fois : lorsqu’il est plié en triangle dans un enterrement pour être remis à la veuve, et lorsqu’il recouvre les cercueils avec lesquels Kyle fait un de ses voyages de retour aux Etats-Unis. Difficile de trouver une quelconque glorification là-dedans.

 

 

       De même, le générique de fin m’est apparu comme clairement désabusé et inquiétant, en aucun cas dégoulinant de patriotisme. Après avoir disséqué son parcours et son statut durant tout le film, quoi de mieux pour conclure que les images démontrant à quel point il était vu comme un héros dans son pays ? La glorification du personnage et sa légende sont déjà pleinement existantes aux Etats-Unis, ce n’est pas le film qui allait y changer quelque chose, et encore fois ce n’est pour moi clairement pas le but d’Eastwood. Au contraire, après ce qu’il a exposé, quelle meilleure conclusion que de montrer la vénération portée à ce qui est au final un tueur professionnel, engagé dans une guerre des plus discutables ? En ayant au passage épinglé l’héritage de la violence et des armes à feu par Kyle qui amène son propre fils chasser, qui aide des vétérans mutilés qui continuent pourtant à faire du tir dans leur temps libre, il me semble qu’un certain malaise généralisé est plus que criant.

 

       Qu’on se comprenne bien, je n’ai aucun mal à concevoir que l’on n’accroche pas au film pour tout un tas de raisons (le rythme, le nombre de scènes de combat, le fait que ça ne soit pas plus incisif), mais je trouve cela assez inquiétant qu’il puisse être aussi mal interprété dans un sens comme dans l’autre. Clint a-t-il besoin que ses messages soient aussi prémâchés que dans Gran Torino ou Invictus pour se faire comprendre ? Voilà une bien triste perspective. En tout cas, moi qui avais été déçu ou carrément pas tenté par ses derniers films, j’en veux bien un nouveau par an s’ils sont de cette trempe.

 

 

8/10

 

Arnaud

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