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30 octobre 2015 5 30 /10 /octobre /2015 09:45

       On ne va pas y aller par quatre chemins, des films comme The Lobster, on n’en voit pas tous les jours. On n’en voit même pas tous les ans, en fait. Au risque de perdre des lecteurs dès l’introduction, mais je préfère rester honnête, c’est le genre de film qu’il faut aller voir en en sachant le moins possible. Ne pas avoir lu le synopsis, ni vu la bande-annonce, devient malheureusement de plus en plus difficile de nos jours, mais si jamais vous pouvez, faites juste confiance à la critique et foncez le voir.

 

 

       Le jeune Yorgos Lanthimos ici réalisateur (32 ans et cinq longs-métrages à son actif), quitte pour la première fois le grec et passe à la langue de Shakespeare, avec en plus de ça un casting imposant. Un défi sur lequel nombre de cinéastes prometteurs se sont cassés les dents, avec souvent le plus grand mal du monde pour rebondir. On peut voir ici l’avantage de la coproduction européenne, qui ne semble pas avoir limité ses ambitions ou ses idées. Personnellement, sans avoir vu de film de lui (alors que je dois voir Canine depuis des années), j’étais quasi certain d’adorer. J’ai une énorme faiblesse pour l’absurde et l’humour noir, et le point de départ de ce long-métrage en promettait beaucoup. Si vous avez continué à lire malgré ma mise en garde, ça ne vous gênera certainement pas que je rappelle en quoi consiste le film.

 

       Dans ce futur dystopique mais vraisemblablement proche (rien de « futuriste » au sens habituel du terme), le célibat n’est pas une option de vie légale. Si une personne se retrouve dans cette situation, ici David (Colin Farrell), elle est amenée dans un hôtel à la campagne et doit se trouver quelqu’un avec qui vivre en moins de 45 jours, sans quoi elle est transformée en l’animal de son choix et lâchée dans les bois. Un fonctionnement absurde et radical qui donne lieu dès l’introduction à des situations et des dialogues savoureux.

 

       La mise en place est méthodique, minutieuse, équilibrant parfaitement explications directes et découverte de cet univers étrange. On le sait bien, les meilleures fictions dystopiques, principalement livres et films, sont des miroirs déformants de notre société, mettant en relief ses dysfonctionnements et dérives (actuelles ou à venir) par l’absurde, l’humour ou la violence. Des sortes de cauchemars éveillés qui retiennent notre imagination car dangereusement proches de ce qu’on connaît ou redoute. L’exemple le plus connu reste certainement Big Brother, l’entité omnisciente régnant sur le monde de 1984, création hautement visionnaire et toujours plus actuelle de George Orwell.

 

       Dans The Lobster, le sujet n’est pas tant la politique et ses dirigeants qu’une vision assez pessimiste de l’amour et du couple contraints par notre société. Le simple point de départ du film suffit à deviner une critique sur notre vision occidentale et encore fortement chrétienne de ces concepts, où être en couple et avoir des enfants est la norme voire une fin en soi, toute personne s’écartant de cette trajectoire aura donc forcément un ou des problèmes (ici les « solitaires » vivent dans la forêt, bannis de la société). La façon de se rencontrer au sein de l’hôtel paraît ridiculement étriquée et encadrée, avec beaucoup qui vont se fixer sur un détail physique anodin comme point commun alors que ça n’apportera rien au couple. Trop se baser sur l’apparence et ses détails relativement insignifiants est également un problème actuel encouragé par le fonctionnement de nombreux sites et applications de rencontre.

 

 

       De même, une fois les couples formés Lanthimos se fait un malin plaisir de mettre à jour les mensonges, les faux-semblants et l’hypocrisie qui en furent l’origine, en dépit du bon sens. Un monde aseptisé, politiquement correct et oppressant, où l’important n’est pas tant d’être heureux en couple mais de ne pas être seul. C’est bien cette dissection par petites touches d’un modèle établi qui est le plus dérangeant, car jamais le réalisateur ne cède à la surenchère. Le grotesque et l’absurde sont quasi omniprésents, bien sûr, mais en conservant toujours ce petit quelque chose de réel qui nous renvoie à nos propres interrogations. Difficile d’imaginer ce que nous ferions dans la situation de David, qui veut se sortir de là mais ne démontre guère d’enthousiasme, au grand dam des responsables de l’hôtel.

 

       Il est à noter que Colin Farrell est formidable dans ce rôle, avec un changement de corpulence ne visant pas l’Oscar, tout au service de son personnage de nounours affable, porté par les évènements. Il enchaîne ces dernières années les très bons rôles, après avoir souffert longtemps de ses frasques de bad boy et de rôles dont il aurait pu se passer. Le reste du casting est au diapason, citons Rachel Weisz, Léa Seydoux, John C. Reilly et Ben Wishaw, encore une fois Lanthimos est à féliciter pour avoir aussi bien dirigé ce beau monde en langue anglaise. Pour faire simple, tout s’accorde dans ce film pour porter le récit, aussi bien la photographie que la musique, le choix des décors, les scènes qui s’étirent pour nous entraîner dans la torpeur de cet hôtel…

 

       On aimerait voir plus de jeunes talents comme ce réalisateur proposer des idées originales et provocantes, des concepts qui osent rappeler les années 70 ou 80 par leur liberté et leur ton plus que par le bête hommage, qui commence sérieusement à tourner à vide ces dernières années. A priori il ne devrait pas s’embourber dans un film de super-héros de sitôt vu son univers, donc je vais attendre avec impatience ses prochaines œuvres.

 

 

8/10

 

Arnaud

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